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que la plupart des romans de la Table ronde sont une peinture plus ou moins idéalisée.

Le système de chevalerie galante était déjà organisé, déjà en vogue, dès les commencemens du douzième siècle, au moins dans certaines parties de l’Europe méridionale, dans les pays de langue provençale, en Catalogne, en Arragon. Or, les plus anciens romans de la Table ronde que nous connaissions, n’étaient que l’expression épique de ce même système, tout comme les chants des troubadours en étaient l’expression lyrique. Il n’est donc pas surprenant de voir l’amour occuper une si grande place dans ces romans, de l’y voir devenu le mobile principal des actions du chevalier, le principe vital de la chevalerie.

Il y a même quelques-uns de ces romans où l’amour est tellement dominant, qu’il laisse à peine la place convenable à la bravoure et aux aventures chevaleresques. Tel est celui de Tristan, qui, comme j’espère le prouver en son lieu, fut composé vers 1150, au plus tard, et qui n’est que la ravissante peinture d’un amour dont l’ivresse et l’exaltation survivent à toutes les épreuves du temps et de la volupté, à toutes les traverses de la vie, et que la mort elle-même n’a pas la puissance d’éteindre.

Tout chevalier de la Table ronde a sa dame, pour l’amour de laquelle il est perpétuellement en quête de gloire et d’aventures. La destinée de toute demoiselle qui a un peu de grâce et de beauté est d’occuper d’elle des chevaliers, des rois, des géans, tout ce monde idéal de chevalerie, qui semble n’exister que par l’amour et pour lui. Il y a sans doute aussi, dans ces mêmes romans, bien des traits qui peignent les sentimens religieux de l’époque. Ces sentimens occupaient trop de place dans la vie réelle, pour n’en pas prendre une dans la poésie. Mais, dans la branche de poésie dont il s’agit, tout ce qui a rapport à ces sentimens est accessoire, accidentel, fugitif ; l’objet réel des romans dont je veux parler est d’exalter par la fiction les vertus propres de la chevalerie libre, de la chevalerie mondaine, c’est-à-dire l’orgueil de la bravoure et l’amour des dames. Il est