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ROMANS DE LA TABLE RONDE.

Le ciel en ploierait, l’air en serait troublé, la terre en branlerait, et l’eau en changerait sa couleur.

« Il y a dans ce livre tout ce que je dis et plus encore, et nul homme n’y regardera avec foi qu’il n’y trouve le bien de son âme et de son corps ; et si chagrin soit-il en y regardant, il sera à l’instant rempli de la plus grande joie qu’un cœur puisse imaginer ; et quelque péché qu’il ait commis en ce monde, il ne mourra point de mort subite. Ce livre est la vie de la vie. »

Toute créature humaine un peu modeste à qui un pareil livre aurait été présenté par Dieu en personne, aurait, selon toute apparence, un peu hésité à l’ouvrir, et ne l’aurait ouvert qu’avec respect et tremblement. Notre auteur n’y fait pas tant de façons ; il ouvre le livre au plus vite, y trouve d’abord maintes choses qui lui sont personnelles, et puis, passant plus avant, il y aperçoit ce titre : Ici commence du saint graal.

D’après un tel exemple, il vous paraîtra sans doute que les romanciers de la Table ronde ne se piquaient guère de passer pour de simples copistes de chroniques sur des sujets connus, ou qu’ils supposaient à leurs lecteurs une loi historique bien large.

Sans parler des romans de la Table ronde en prose, dont le moindre remplirait huit à dix gros volumes in-8o, ceux en vers qui, avec toute vraisemblance, peuvent passer pour les plus anciens du genre, sont des compositions d’une étendue considérable. Le Perceval allemand a près de vingt-cinq mille vers, et celui de Chrétien de Troyes en a probablement davantage. Le Tristan allemand de Godefroi de Strasbourg passe vingt-trois mille vers.

Il n’est pas étonnant de voir parfois des poèmes si longs commencés par un auteur et achevés par un autre. Le Perceval de Chrétien de Troyes fut terminé par un trouvère nommé Manessier. Ce fut un minnesinger, du nom d’Ulrich de Turheim, qui ajouta au Tristan de Godefroi de Strasbourg près de quatre mille vers, qui y manquaient pour que l’ouvrage fût complet.

Ces suites pouvaient bien quelquefois être de l’invention du continuateur qui, dans ce cas, asservissait son imagination au