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cher un Gibraltar, chaque ville une forteresse, chaque port un abîme, chaque homme un ennemi. Condamnée à l’immobilité de la pierre, elle devait être comme une île inconnue, ou abîmée, une espèce d’Atlantide noyée, que les matelots cherchent au fond de la mer par un temps pur ; que son commerce fut anéanti par une banqueroute européenne : il fallait que ses Indes, ses Amériques, son Asie, restassent sans nouvelles de cette orgueilleuse métropole, qu’ils disent d’elle : Elle est morte en route ; elle a sombré.

Et pour cela tout le secondait, le grand empereur. Nous nous rappelions notre drapeau blanc traîné dans les eaux d’Asie comme un balai, nous nous rappelions des affronts à faire rougir des enfans au berceau. Tout le secondait, les empereurs du nord, les successeurs de Charles-Quint et de Charlemagne, les rois du midi, les successeurs de Philippe ii et de Sébastien, s’étaient résignés à être les garde-côtes de l’Europe : la carabine à la main, ils veillaient à leur croisée ; les rois semés par lui, Napoléon, devaient être fidèles à cette douane continentale. C’étaient ses frères. Ainsi, empereurs, rois, peuples, femmes, enfans, repoussaient assis sur le rivage, avec le sceptre et le bâton, l’Anglais, l’infâme Anglais.

Qui a pu donc empêcher cette grande idée d’éclore et d’éclater, conçue par Napoléon ?

Un seul homme : Napoléon.

Il avait créé le blocus continental, il fit la contrebande continentale.

Lisez l’histoire.

Poursuivons la nôtre.

Au milieu de l’un de nos ports de la Manche, frappés comme les autres de cette torpeur commerciale, s’élevait, sans agrès, sans mâts, ras comme après une affaire, et c’était une affaire qui l’avait rendu ainsi, un vaisseau pris sur les Anglais ; si l’on peut appeler vaisseau une masse de bois, absolument défigurée, immobile comme une maison, dans son eau verte et croupissante ; déshonorée par des pots de fleurs qui rejetaient leur tige verte au-dessus et au-dessous des plats-bords. On n’aurait jamais dit