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UN ÉPISODE DU BLOCUS CONTINENTAL.

toile livreraient les clefs de l’arsenal pour une aune de mousseline anglaise ; la contrebande nous ronge ; tout cela fait que nous ne viendrons jamais à bout de l’Anglais.

— Eh bien, disait Scipion, quoique nous ayons le malheur de ne manquer de rien, grâce aux Anglais, restons fidèles à notre serment. On nous vend à moitié prix du tabac anglais, excellent, contre du tabac français qui emporte la gueule et qui vaut le double. — Fumons du tabac français !

Et tous : — Point de tabac anglais !

Le sucre vaut dix francs la livre ; on l’offre à trois francs de contrebande.

— Point de sucre !

— Et par conséquent : point de café !

— Point de café : vive le blocus ! — L’Anglais périra par le blocus !

— Et nos femmes se vêtiront comme elles l’entendront ; mais point de toile de Hollande apportée par les Anglais, point de mousseline anglaise, rien d’anglais ! nos femmes se tisseront des chemises d’étoupe ; elles iront nues, sacrebleu ! plutôt que de favoriser le commerce anglais.

— C’est entendu !

— Si tous les Français prenaient aussi énergiquement parti que nous pour le blocus, les Anglais seraient bientôt coulés.

Et ces braves marins, qui partageaient avec l’aveuglement du fanatisme une idée très fausse en économie politique, mais qui leur était venue de Napoléon, se privaient de tout plutôt que de devoir la moindre commodité de la vie à la contrebande anglaise. De fait, rien n’était original comme le contraste d’une place de commerce, qui manquant, la veille, de denrées coloniales ou de produits étrangers, s’en trouvait encombrée le lendemain, sans qu’un navire français fût entré dans le port. — Les lois avaient cependant attaché une peine assez forte au délit de la contrebande : la mort, rien que cela, rien que la mort pour ceux qui la faisaient ; la mort pour ceux qui y coopéraient.

— Malédiction ! continua maître Scipion, que fait donc notre commissaire de marine, qui n’envoie pas tous les bateaux armés