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fleurs, le bosquet du rivage, le phare allumé de l’amante. Puis la nacelle est devenue une barque plus hardie, plus confiante aux étoiles et aux larges eaux. Le rivage s’est éloigné et a blanchi à l’horizon ; mais de la rade on y revenait encore, on y recueillait encore de tendres ou cruels vestiges : on y voyait à chaque approche comme plusieurs phares scintillans qui vous rappelaient : c’était trop s’éloigner ou trop souvent revenir. La barque a fait place au vaisseau. Ç’a été la haute mer cette fois, le départ majestueux et irrévocable. Plus de rivages qu’au hasard, çà et là, et en passant ; les cieux, rien que les cieux et la plaine sans bornes d’un Océan Pacifique. Le bon Océan sommeille par intervalles ; il y a de longs jours, des calmes monotones ; on ne sait pas bien si l’on avance. Mais quelle splendeur, même alors, au poli de cette surface ; quelle succession de tableaux à chaque heure des jours et des nuits ! Quelle variété miraculeuse au sein de la monotonie apparente ! et à la moindre émotion, quel ébranlement redoublé de lames puissantes et douces, gigantesques, mais belles ; et surtout, et toujours, l’infini dans tous les sens, profundum, altitudo !

En même temps que la matière et le fond ont augmenté chez Lamartine, le style et le nombre ont suivi sans peine et se sont tenus au niveau. Le Rhythme a serré davantage la pensée ; des mouvemens plus précis et plus vastes l’ont lancée à des buts certains ; elle s’est multipliée à travers des images non moins naturelles et souvent plus neuves. En faisant ici la part de ce qu’il y a de spontané et d’évolutif dans ce progrès du talent, nous croyons qu’il nous est permis de noter une influence heureuse du dehors. Si, en effet, Lamartine resta tout-à-fait étranger au travail de style et d’art qui préoccupait alors quelques poètes, il ne restait nullement insensible aux prodigieux résultats qu’il en admirait chez son jeune et constant ami, Victor Hugo. Son génie facile saisit à l’instant même plusieurs secrets que sa négligence avait ignorés jusque-là. Quand le Cygne vit l’Aigle, comme lui dans les cieux, y dessiner mille cercles sacrés, inconnus à l’augure, il n’eut qu’à vouloir, et, sans rien imiter de l’Aigle, il se mit à l’étonner à son tour par les courbures redoublées de son essor.

Un des caractères les plus propres à la manière de Lamartine, c’est une facilité dans l’abondance, une sorte de fraîcheur dans