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fait naître dans certains esprits les plus étranges imaginations. On a pensé qu’une langue qui ne pouvait s’épeler devait être bien barbare ; de là le préjugé de l’incroyable difficulté de l’écriture chinoise. On rencontre encore quelques personnes qui vous disent comme un fait reconnu, que les Chinois passent leur vie à apprendre à lire et ne savent écrire que sur leurs vieux jours, tout juste à temps pour faire leur testament. Quelques métaphysiciens, dont ils avaient négligé de consulter le système en inventant celui de leur écriture, ont été plus loin : ils ont nettement refusé à tout un peuple la possibilité d’entendre les livres qu’il imprime. D’autres, à peu près aussi bien au fait de ce dont ils parlaient, ont porté dans l’admiration la même sagesse que les premiers dans le blâme : ils ont vu dans les caractères chinois de merveilleux hiéroglyphes, formés d’après de profondes associations d’idées et une savante analyse de la pensée humaine. Au lieu de tout cela, tâchons de dire quelque chose d’exact, ce qui, après les travaux de M. Rémusat, n’est pas un grand mérite, et tâchons d’être clair, ce qui est toujours difficile.

Dans l’écriture chinoise, chaque signe, au lieu de rappeler un son comme dans nos systèmes alphabétiques, représente immédiatement l’idée ou l’objet : c’est ce qu’on appelle une écriture idéographique, c’est-à-dire peignant les idées. Le mot me semble un peu ambitieux et un peu inexact, car, à un certain nombre d’exceptions près, les caractères chinois, dans leur état actuel, ne sont point des peintures ressemblantes des objets et encore moins des idées, dont il n’est pas facile de faire le portrait, mais des assemblages de traits, en grande partie arbitraires, par lesquels on est convenu de désigner les objets ou les idées. Quoi qu’il en soit, ces signes n’offrent point, comme nos mots écrits, la représentation d’un mot parlé dont ils contiendraient les élémens. Chacun d’eux a sa valeur propre pour l’œil, indépendamment de toute combinaison de son qu’on y peut rattacher ; c’est exactement ce qui a lieu chez nous pour les signes des nombres : le chiffre 2, par exemple, nous donne immédiatement l’idée de dualité, sans que nous ayons besoin de penser au mot deux. Ce chiffre n’a aucun rapport avec le mot, cela est évident ; eh