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PAQUITA.

le regard humide et voilé de ce jeune homme eût au moins douté que ce fût là sa vocation.

Et puis son front rougissant, sa voix mourante sur ses lèvres décolorées, toutes les fibres de son corps qui tressaillaient chaque fois que l’on venait à prononcer devant lui le nom de Paquita ; ces symptômes-là ne trahissaient-ils point quelque vive et ardente passion, quelque violent amour que les verroux d’un cloître auraient un jour grande peine à retenir captif ?

Mais qu’était-ce donc que cette Paquita dont l’influence semblait si puissante sur l’ame de Lorenzo ?

Oh ! c’était bien, en vérité, la plus belle enfant de la ville. C’était une délicieuse brune de quatorze ans, la fille de l’alcade de Ségovie, qui demeurait rue San Esteban ; justement vis-à-vis du logement qu’habitait Lorenzo avec sa mère. Cependant, bien que cette dernière, continuant d’anciennes relations de voisinage et d’amitié, qui unissaient les deux familles, se rendît habituellement le soir aux tertulias[1] qui se tenaient dans la maison de l’alcade, son fils ne l’y avait pas accompagnée une seule fois depuis son retour de Salamanque. Jusqu’à ce qu’elle rentrât, il restait seul enfermé avec ses livres, et nul n’y trouvait à redire. N’était-il pas tout simple que par une retraite anticipée il se préparât à celle qui devait bientôt cadenasser sa vie entière ?

Mais chaque nuit, plus ou moins tard, lorsque toute la ville dormait, lorsqu’on n’y apercevait plus de loin à loin que quelques serenos accroupis à l’angle des rues, leur lance et leur lanterne en mains, qui donc, sortant de chez Lorenzo enveloppé d’un manteau noir, s’approchait doucement d’une croisée étroite et grillée au rez-de-chaussée de la maison de l’alcade ? qui donc restait là des heures entières et bien souvent jusqu’au jour, causant à voix basse et tendrement avec une jeune fille à travers les barreaux ? Qui donc était si mystérieusement heureux ?

Il faut bien vous le dire, car vous ne le devineriez point. C’était l’austère Lorenzo devisant d’amour et couvrant de baisers les blanches mains de Paquita.

Mais ce ne fut pas tout. Il y eut pour eux des nuits moins in-

  1. Réunions, soirées.