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REVUE DES DEUX MONDES.

Six cents bourgeois, vêtus de huques bleues, et conduits par le seigneur de L’Iladam et le sire de Gyac, allaient au-devant d’eux, leur portant les clefs de la ville comme à des vainqueurs : le peuple suivait à flots, divisé par corporation, rangé sous ses étendards respectifs, criant joyeusement noël, oubliant qu’il avait eu faim la veille, et qu’il aurait faim le lendemain.

Le cortége trouva la reine, le duc, et leur suite qui attendaient à cheval. Arrivé en face du duc, le bourgeois qui portait les clefs d’or dans un plat d’argent, mit un genou en terre : « Monseigneur, dit L’Iladam, les touchant de la pointe de son épée nue, voici les clefs de votre ville ; en votre absence, nul ne les a reçues, et l’on vous attendait pour les remettre. »

— Donnez-les-moi, sire de L’Iladam, dit le duc, car en bonne justice vous avez le droit de les toucher avant moi.

L’Iladam sauta à bas de cheval, et les présenta respectueusement au duc : celui-ci les accrocha à l’arçon de sa selle, en face de sa hache d’armes. Bien des gens trouvèrent cette action trop hardie de la part d’un homme qui entrait en pacificateur, et non en ennemi ; mais telle était la joie qu’on avait de revoir la reine et le duc, que l’enthousiasme ne fut aucunement refroidi par cet incident.

Alors un autre bourgeois s’avança, et présenta au duc deux cottes de velours bleues, l’une pour lui, l’autre pour le comte Philippe de Saint-Pol, son neveu[1]. « Merci, messieurs, dit-il, c’est une bonne pensée à vous d’avoir prévu que j’aimerais à rentrer dans votre ville, vêtu des couleurs de la reine. » Quittant alors sa robe de velours, il revêtit la cotte qui venait de lui être offerte, et ordonna à son neveu d’en faire autant. Tout le peuple cria : vive Bourgogne ! vive la reine !

Les trompettes sonnèrent, les bourgeois se divisèrent en deux lignes et se placèrent en haies de chaque côté du duc et de la reine ; le peuple se mit à leur suite. Quant au sire de Gyac, il avait reconnu sa femme au milieu de la maison d’Isabeau : il quitta la place que l’étiquette lui avait réservée pour prendre

  1. Le comte de Saint-Pol était le fils du duc de Brabant, mort à la bataille d’Azincourt.