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pas plus à l’abri de l’épidémie que le pauvre peuple ; le prince d’Orange et le seigneur de Poix y succombèrent ; l’un des frères Fosseuse, allant faire sa cour au duc, sentit les premières atteintes du mal au bas du perron de l’hôtel Saint-Paul ; il essaya de continuer son chemin, mais à peine avait-il monté six marches, qu’il s’arrêta pâle, les cheveux hérissés et les genoux tremblans. Il n’eut que le temps de croiser les bras sur sa poitrine, en disant : Seigneur, ayez pitié de moi ! et il tomba mort. Le duc de Bretagne, les ducs d’Anjou et d’Alençon se retirèrent à Corbeil[1], et le sire de Gyac et sa femme au château de Creil, près Beaumont-sur-Oise.

De temps en temps derrière les vitraux de l’hôtel Saint-Paul, apparaissaient, comme des ombres, ou le duc ou la reine ; ils jetaient les yeux sur ces scènes de désolation, mais ils n’y pouvaient rien et se tenaient enfermés dans le palais : quant au roi, on disait qu’il était retombé dans un de ses accès de folie. Pendant ce temps, Henri d’Angleterre, accompagné d’une puissante armée, avait mis le siége devant Rouen. Toute la ville avait jeté un cri de détresse qui s’était perdu dans les clameurs de Paris, avant d’arriver au duc de Bourgogne. C’était cependant le cri d’une ville tout entière, les Rouannais abandonnés n’en avaient pas moins fermé leurs portes et juré de se défendre jusqu’à la dernière extrémité.

De leur côté, les Dauphinois, conduits par l’infatigable Tanneguy, par le maréchal de Rieux, et par Barbazan qu’on appelait le chevalier sans reproches, après s’être emparés de la ville de Tours, que défendaient, pour le duc, Guillaume de Rommenel et Charles Labbe[2], poussaient des reconnaissances armées jusqu’aux portes de Paris.

Le duc Jean avait donc à sa gauche les Dauphinois, ennemis de la Bourgogne ; à sa droite les Anglais, ennemis de la France ; en face et derrière lui la peste, ennemie de tous.

Dans cette extrémité, il songea à traiter avec le Dauphin, à lais-

  1. Barante.
  2. Enguerrand de Monstrelet.