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Ronsard, au rhythme et aux césures des habitudes perdues depuis Régnier et Molière, et retrouvées studieusement par André Chénier. Au mouvement, au mécanisme intérieur de la phraséologie française, il a rendu ces périodes amples et flottantes que le dix-huitième siècle dédaignait, qui avaient été s’effaçant de plus en plus sous les petits mots, les petits traits, les petites railleries des salons de madame Geoffrin. L’éclat pittoresque des images, l’heureuse alliance et l’habile entrelacement des sentimens familiers et des plus sublimes visions, que de merveilles n’a-t-il pas faites ! Nul homme parmi nous n’a été plus constant et plus progressif ; la voie qu’il avait ouverte, il l’a suivie courageusement sous le feu croisé des moqueries et du dédain. D’année en année, il révélait une face nouvelle de son talent, et en même temps un nouvel ordre d’idées. Ç’a été d’abord ce qu’il appelle, avec une grande justesse, de la poésie de cavalier. De 1822 à 1827, il a soutenu poétiquement l’opinion légitimiste. Puis, les hommes et les choses se renouvelant autour de lui, il a changé son point de vue. Il a écrit la Fête de Néron et Cromwell. Les Orientales et Notre-Dame, Hernani, Marion, les Feuilles d’Automne, ont marqué dans la carrière des pas glorieux et de nouvelles conquêtes. Chacun de ces ouvrages signale un perfectionnement très-sensible dans l’instrument littéraire ; mais tous, pourtant, sont empreints d’un commun caractère ; ils procèdent plutôt de la pensée solitaire et recueillie, écoutant au-dedans d’elle-même les voix confuses de la rêverie et de l’imagination, que d’un besoin logique de systématiser, sous la forme épique ou dramatique, les développemens d’une passion observée dans la vie sociale, ou d’une anecdote compliquée d’incidens variés. En planant sur le vieux Paris du quinzième siècle, M. Hugo retrouve les mêmes inspirations lyriques qu’au moment où il s’abat sur Sodome et Gomorrhe, endormies nonchalamment dans leurs impures débauches : au tombeau de Charlemagne, à la cour de Charles-Quint ou de Louis xiii, parmi les têtes rondes groupées autour du Protecteur, son génie s’abandonne aux mêmes effusions qu’en racontant la mort d’une jeune fille dans les fantômes. Dans le roman, dans le drame, comme dans l’ode, il est toujours le même. Il lui faut des contrastes heurtés, qui fournissent au développement stratégique de ses rimes, de ses similitu-