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savons apprécier l’Allemagne avec toutes ses diversités de peuple, de génie, de climat et de vocation.

Dites, monsieur, en quel autre pays l’Allemagne a-t-elle mieux trouvé qu’en France une curiosité plus modeste et plus généreuse pour jouir de ses chefs-d’œuvre ? Qui vous a le mieux célébrés, si ce n’est nous ? Et les éloges de la France peuvent chatouiller l’amour-propre. Où votre poésie a-t-elle été mieux sentie ? votre philosophie et votre jurisprudence historique plus avidement interrogées ? À votre école nous nous sommes charmés et instruits : nous vous avons vengés des mépris de la cour de Louis xiv et des facéties de Voltaire ; nous vous avons goûtés avec une intelligence pleine de franchise et de souplesse ; confessez-le, monsieur, vous devez être contens de nous.

Mais vous connaissez trop aussi l’inépuisable rapidité de l’esprit français pour croire qu’il consacre uniquement le siècle à vous contempler et à vous traduire : vous ne l’estimeriez plus si vous le trouviez toujours en échec devant vous. À quoi servirions-nous au monde en garottant notre pensée avec les formules de Kant et de Hegel, ou en l’ensevelissant au fond d’un sillon de l’école historique ? Dans l’œuvre de la science et de la civilisation, il faut toujours s’ajouter aux travaux accomplis et jamais les recommencer. D’ailleurs vous-mêmes vous avez parcouru les phases de votre métaphysique, et de votre érudition : comment dépasser la dialectique de Hegel ? C’est le dernier des Romains dans le champ de la métaphysique péripatéticienne, et je crois que le plus brillant disciple de l’école, l’ingénieux Gans, a tiré des conséquences plus libérales, des applications plus vives que ne comportait le système ; il a mis l’animation et la vie dans le mécanisme qu’on lui livrait. D’un autre côté, l’école historique, appui naturel de la politique traditionnelle, a terminé ses grands travaux, et désormais s’occupera plus de la défense pratique des choses anciennes que des recherches désintéressées de l’érudition.

Dans ce siècle, l’Allemagne sera donnée en spectacle au monde : déjà on la contemple, avidement, comment cette religieuse et méditative Germanie deviendra-t-elle politique et active ? La philosophie s’est accordée un instant avec la religion