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— Monseigneur, reprit le juif, j’ai passé la nuit à consulter les astres, et la science dit que, si vous allez à Montereau, vous n’en reviendrez pas ; — et il tenait le cheval au mors pour l’empêcher d’avancer.

— Qu’en dis-tu, de Gyac ? dit le duc en se retournant vers son jeune favori.

— Je dis, répondit celui-ci, la rougeur de l’impatience au front, je dis que ce juif est un fou qu’il faut traiter comme votre chien, si vous ne voulez pas que son contact immonde vous force à quelque pénitence de huit jours.

— Laisse-moi, juif, dit le duc pensif, en lui faisant doucement signe de le laisser passer.

— Arrière, juif ! s’écria de Gyac en heurtant le vieillard du poitrail de son cheval, et en l’envoyant rouler à dix pas ; arrière ! N’entends-tu pas monseigneur qui t’ordonne de lâcher la bride de son cheval ? Le duc passa la main sur son front comme pour en écarter un nuage ; et, jetant un dernier regard sur le juif étendu sans connaissance sur le revers de la route, il continua son chemin.

Trois quarts d’heure après, le duc arriva au château de Montereau. Avant de descendre de cheval, il donna l’ordre à deux cents hommes d’armes et à cent archers de se loger dans le faubourg, et de s’emparer de la tête du pont ; Jacques de la Lime, grand-maître des arbalétriers, reçut le commandement de cette petite troupe.

En ce moment, Tanneguy vint vers le duc, et lui dit que le Dauphin l’attendait sur le pont depuis près d’une heure. Le duc répondit qu’il y allait ; au même instant, un de ses serviteurs tout effaré accourut, et lui parla tout bas. Le duc se tourna vers Duchâtel.

— Par le saint jour de Dieu ! dit-il, chacun s’est donné le mot aujourd’hui pour nous entretenir de trahison ; Duchâtel, êtes-vous bien sûr que notre personne ne court aucun risque, car vous feriez bien mal de nous tromper ?

— Mon très-redouté seigneur, répondit Tanneguy, j’aimerais mieux être mort et damné que de faire trahison à vous ou à nul