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GEORGES SAND.

l’amour est une frénésie plutôt qu’une passion. Noun ne résiste pas long-temps, et se livre à Raymon. Cette liaison, prenez-y garde, bien qu’elle manque d’élévation et de poésie, n’est pas inutile à l’intérêt du récit. Pour Raymon, Noun est une distraction, ce n’est pas une affaire ; mais il est utile, pour la suite du poème, d’établir nettement le caractère de Raymon, de dessiner en traits profonds et ineffaçables l’égoïsme à l’aide duquel il échappe à toutes les angoisses de la passion, et profite sûrement de toutes les faiblesses de son adversaire.

Trompée par de fausses indications, la jalousie du colonel s’éveille, et, loin de prévenir la faute d’Indiana, hâte sa chute par un redoublement de tyrannie. Raymon épie froidement les alternatives de résignation et de révolte qui déchirent le cœur de la jeune femme ; et, quand le temps est venu, il se déclare. Noun essaie en vain de le ramener à elle ; ses caresses furieuses ne réussissent pas à précipiter les pulsations d’un cœur qui n’a jamais battu que pour sa beauté, et fatigué maintenant d’un plaisir trop facile ; l’infortunée jeune fille passe rapidement du désespoir à la folie, et se noie. Ceci est un ressort hardi, mais indispensable selon moi. Raymon, une fois débarrassé de ce premier obstacle, doit marcher plus sûrement à son but. Dès ce moment la tragédie n’attend plus.

Raymon obtient sans peine plusieurs rendez-vous avec Indiana. La vertu de la jeune femme, loin de céder aux premières attaques, trouve dans l’amour même un moyen de résistance. Aimer, pour Indiana, c’est une chose si belle et si grande, si passionnée et si chaste à la fois, qu’elle croirait déshonorer l’amour en lui donnant asile ailleurs que dans son ame ; ce dévouement sans réserve au bonheur d’un autre, ce sacrifice irréfléchi, imprévoyant, de toute son existence, voudrait-elle le dégrader pour le plaisir des sens ? Comme il arrive dans ces sortes de luttes, elle refuse tout à son amant, hormis le dernier abandon qu’un amant puisse prétendre. Comme les femmes vraiment éprises, elle s’excite à la défense en livrant aux baisers de Raymon ses lèvres et ses épaules : elle espère l’apaiser à force de caresses.

Qu’arrive-t-il ? vous le prévoyez déjà, et tant mieux ! car ceci prouve que la fable est logique. Raymon se lasse de la ré-