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LES BAINS DE LUCQUES.

— Qu’avez-vous donc, qu’avez-vous donc ? demanda Hyacinthe d’une voix tremblante ; serons-nous attaqués cette nuit ?

— Lisez, lisez ! me dit le marquis, en me jetant le billet qu’il venait de recevoir.

Je lus : « Cher Gumpelino, dès qu’il fera jour, je serai forcée de partir pour l’Angleterre. Mon beau-frère est parti devant moi, et m’attend à Florence. Je suis sans surveillant ; venez donc, je vous attends heureuse et tremblante. J. M. »

— Malheur à moi ! s’écria Gumpelino. L’amour me tend sa coupe pleine de nectar, et infortuné que je suis, j’ai déjà vidé une coupe pleine de sel de Glauber. Qui me débarrassera de cet affreux breuvage ? À l’aide ! au secours !

— Nulle puissance humaine ne peut venir à votre aide, dit Hyacinthe en soupirant.

— Je vous plains de tout mon cœur, lui dis-je à mon tour.

— Ô Jésus, Jésus ! s’écriait toujours le marquis. Je le sens qui parcourt toutes mes veines. Loyal apothicaire, ta médecine a agi promptement[1] ! Mais n’importe, je veux courir à elle, tomber à ses pieds et y répandre tout mon sang.

— Il n’est pas question de sang, dit Hyacinthe. Vous n’avez pas des homérides. Ne soyez donc pas si passionné, monsieur le marquis.

— Non, non, je veux aller me jeter à ses pieds. Ô nuit ! ô nuit !

— Je vous le dis, reprit Hyacinthe avec un calme vraiment philosophique, vous n’auriez pas un moment de repos. Ne soyez pas si passionné. Plus vous sautez dans la chambre, plus vous vous échauffez, et plus le sel de Glauber fait son effet. Il faut vous comporter comme un homme, vous soumettre au destin. Il est peut-être bon que les choses se soient passées ainsi. L’homme est une créature terrestre, il ne comprend pas les décrets de la Providence. L’homme croit souvent qu’il va au-devant de son bonheur, et cependant le malheur est là, sur son chemin, qui l’attend avec un bâton ; et, quand un bâton roturier frappe des épaules nobles, elles le sentent tout de même, monsieur le marquis.

— Malheur à moi ! répétait toujours Gumpelino d’une voix terrible.

Son serviteur continua :

— L’homme s’attend souvent à une coupe de nectar, et il reçoit une volée de coups ; et si le nectar est doux, les coups sont amers et c’est encore un bonheur que l’homme qui bat un autre finisse par se fatiguer

  1. O true apothecary,
    Thy drog are quick.

    SHAKSP.