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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/245

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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

de changer en biographies les lettres que je vous adresse ; je ne veux donc point le suivre pas à pas dans ces douze années de vie privée, de voyages à Coppet, à Lausanne et à Berlin, et dans toutes les villes où il retrouvait sans cesse madame de Staël, et qui furent le théâtre de leurs altercations. Je ne vous parlerai pas de son séjour obscur à Paris en 1806, de ce singulier trajet jusqu’à Auxerre, qu’il fit entre madame R… et madame de Staël, lorsque cette dernière partit pour l’Italie, et pendant lequel eurent lieu les scènes les plus extravagantes. Ce serait aux romanciers à le rechercher à Coppet où il revenait toujours malgré lui, et d’où il s’enfuit précipitamment un beau matin, tandis qu’il travaillait à sa traduction de la tragédie de Wallenstein. Enfin madame de Staël partit pour Vienne, et Benjamin Constant se maria secrètement, le 5 juin 1808, avec mademoiselle de Hardenberg. Mais là ne finit pas, comme dans les romans ordinaires, l’histoire sentimentale de Benjamin Constant. Ce seraient de beaux chapitres que ceux de l’entrevue de madame Constant et de madame de Staël à Interlaken ; que ce nouveau séjour à Coppet où l’on essaya de rendre Benjamin Constant mystique par la représentation de la Sunamite, drame religieux qui fut composé pour cette circonstance ; par des conférences avec Elzéar de Sabran, et des discussions en règle sur la dévotion et le but de la prière. La douleur et la violence de madame de Staël au moment de la séparation, ont été assez bien peintes dans Adolphe, pour que d’autres écrivains ne soient pas tentés de retracer ce tableau ; mais d’autres scènes à Lyon où madame de Staël le suivit, une tentative d’empoisonnement que fit sa rivale sur elle-même, la lutte qui s’ensuivit, l’embarras que Benjamin Constant éprouvait à publier son mariage secret : ce sont là des choses encore ignorées, et que je ne crois pas nécessaire de dévoiler aujourd’hui. Revenons à l’homme politique, qu’il me sera plus facile d’observer.

Au moment où Napoléon déclara la guerre à la Russie, Benjamin Constant se trouvait à Goettingue, entouré de Villers, l’auteur de l’Histoire de la réforme, de Heeren, de Heyne l’helléniste, de Kreutzer le symbolique, de Goerres, et il faisait des études sérieuses pour son ouvrage. Il vivait dans un grand calme ; madame de Staël était partie pour la Russie. À Goettingue, au milieu des débris