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n’avait jamais vu la mer ni les habitations des blancs, et le désir de satisfaire leur curiosité à cet égard entrait sans doute pour beaucoup dans la résolution qu’ils avaient prise d’entreprendre ce voyage dans une saison si peu favorable pour remonter l’Oyapock.

Le 14 décembre, je me mis en route dans l’après-midi. Le Yarupi, gonflé par les pluies qui n’avaient cessé de tomber depuis quinze jours, nous emporta avec rapidité, mais à peine eûmes-nous fait quatre lieues, qu’un arbre immense, tombé récemment en travers de la crique, nous barra le passage. Le jour tirait à sa fin, et nous fûmes obligés d’attendre au lendemain pour franchir cet obstacle. Nous tendîmes nos hamacs dans le bois, et nous fûmes exposés pendant toute la nuit à une pluie battante qui nous empêcha d’allumer du feu, et qui ne cessa qu’avec le jour. L’imagination chercherait en vain à se représenter quelque chose de plus propre à imprimer la terreur que ces longues nuits pluvieuses dans les forêts de la Guyane. L’obscurité profonde, le bruit monotone et sans interruption de la pluie, les coassemens rauques des reptiles cachés dans le tronc des arbres, la conscience de la solitude, tout concourt à jeter une secrète horreur dans l’âme. Les oiseaux même qui, pendant la belle saison, animent de temps en temps les forêts de leurs cris, se taisent dans ces nuits de désolation, dont le souvenir a pourtant des charmes, comme tout ce qui se rattache à cette grande et sublime nature des déserts de l’Amérique.

Le lendemain j’arrivai de bonne heure chez Paranapouna, et m’y arrêtai un jour avant de continuer ma route. Je franchis, non sans danger, les sauts nombreux du Yarupi, et en arrivant à son embouchure où je passai la nuit, je fus frappé du nouveau changement qui s’était opéré dans l’Oyapock depuis que je l’avais quitté. Il n’était plus reconnaissable : ses eaux, ordinairement limpides et transparentes comme du cristal, étaient devenues rougeâtres, limoneuses, et coulaient à pleins bords.

Le 18, je fis dix-sept lieues, et j’arrivai le soir chez Awarassin ; pendant la nuit, mon canot qui était crevassé en divers endroits, et qui avait beaucoup souffert dans les sauts du Yarupi, coula à fond avec tous mes effets. Je perdis la plupart de mes animaux vivans que j’y avais laissés, et toutes mes collections qui furent en partie entraînées par le courant, et en partie détériorées par un séjour de