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faveur qui m’était faite, on me ramena en France. Quelque temps après, mon père quitta l’Italie, et suivit Joseph en Espagne.

Après plusieurs années de séjour à Paris, en mars 1811, nous partîmes, ma mère, mes frères et moi, pour aller rejoindre mon père en Espagne. Il n’était pas à Madrid. Investi du gouvernement de la province de Guadalaxara, il était chargé, avec sa brigade, de couvrir la capitale contre les attaques de la division de don Juan Martin, vulgairement nommé l’Empecinado, partisan célèbre et digne de sa célébrité.

Le roi n’était pas non plus à Madrid, quand nous y arrivâmes. Il venait de partir pour la France, où il devait rester peu de temps. Pendant notre voyage, nous l’avions rencontré. C’était aux portes de Valladolid. Le convoi dont nous faisions partie avait dû se ranger sur le bord de la route, pour laisser passer son escorte et ses équipages. Joseph voyageait rapidement. Il avait avec lui une partie des chevau-légers de sa garde. Sa voiture rasa la nôtre. J’étais à la portière, tout yeux et tout oreilles. Le roi à son passage me parut triste et préoccupé. Il parlait avec chaleur à une des personnes assises en face de lui. J’ai su depuis la cause de cet air sombre qui me surprit alors. Il me semblait qu’un roi devait toujours être gai. Joseph allait à Paris sous le prétexte apparent d’assister au baptême du roi de Rome, mais dans le but réel d’abdiquer la couronne d’Espagne, et de remettre aux mains de l’empereur le sceptre dont il ne pouvait plus se servir pour protéger efficacement ses sujets.[1].

Nous restâmes à Madrid pour y attendre l’arrivée de mon père et le retour du roi. Nous fûmes logés dans l’hôtel du prince de Masserano, ancien ambassadeur de la cour d’Espagne à Paris, et grand-maître des cérémonies de Joseph Napoléon. Cet hôtel, qui était désert quand nous y entrâmes, occupe une place dans mes souvenirs. C’était un grand bâtiment situé à l’angle de la Calle de la Reyna, près de la magnifique rue d’Alcala, sans apparence extérieure, mais dont l’intérieur était magnifiquement décoré. C’était

  1. On verra dans la suite de ces Mémoires les raisons qui avaient décidé le roi à cette résolution extrême, et par quelles promesses l’empereur Napoléon vint à bout de le faire revenir sur sa détermination.