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SOUVENIRS SUR JOSEPH NAPOLÉON.

« — Eh bien ! colonel, lui dit-il en espagnol, êtes-vous plus satisfait de ces messieurs ? »

Il paraît que dans le compte mensuel que M. Rancaño rendait au roi, sur la conduite des pages, il s’était plaint de quelques-uns d’entre eux.

« — Oui, sire, répondit-il en s’inclinant.

« — Quel est ce jeune homme ?

« — Sire, c’est le nouveau page admis par ordre de votre majesté, don Abel Hugo, le fils aîné du général.

« — Parle-t-il espagnol ?

« — Oui, sire.

Alors, me regardant en face, en m’examinant avec un regard qui me remplit d’embarras, Joseph m’adressa, en espagnol, ces paroles, que je puis répéter ici mot pour mot, avec la certitude de ne pas être trompé par ma mémoire.

« — M. Hugo, je vous apprends avec plaisir que, par une dépêche arrivée ce matin même, votre père m’annonce qu’il vient de battre l’Empecinado. Vous allez le revoir. Son gouvernement est presque pacifié. J’ai besoin de lui à l’état-major de l’armée, et je viens de le rappeler à Madrid. »

Je m’inclinai avec respect, en essayant de balbutier quelques mots. Le roi ajouta :

« Madame votre mère se porte sans doute bien ? assurez-la de l’intérêt que je vous porte, ainsi qu’à vos frères. »

Puis me saluant d’un signe de tête amical, Joseph continua sa marche à travers les salles encombrées d’uniformes, de broderies et d’épaulettes.

Ce ton bienveillant, ces paroles affectueuses, me causèrent une profonde émotion. Mes camarades me félicitèrent de la bonté que le roi m’avait témoignée. Nous ne tardâmes pas à reprendre le chemin de la Casa de pages. M. Rancaño m’appela auprès de lui, et pendant le trajet, il ne fut question, comme on peut bien le penser, que du roi Joseph, et des divers motifs d’affection que ses sujets devaient avoir pour lui.

Roi d’Espagne, il était devenu comme Espagnol lui-même ; et pour exprimer, à cet égard, ses sentimens d’une manière plus énergique, il avait coutume de dire : « Si j’aime la France comme ma famille,