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Un homme de la famille d’Hérodote, de Plutarque et de Froissard, qui réunissait, par une bienheureuse destinée, la crédulité apparente des Muses, les souvenirs innombrables des Biographies, et la sympathie nationale des Chroniques ; un poète d’Édimbourg charmait l’Europe entière par la vivacité de ses descriptions locales, l’animation de ses caractères, l’entrelacement inextricable de ses épisodes ; et, sans descendre bien avant dans les passions humaines, il avait fait à l’histoire et aux paysages de son pays une renommée populaire. Mais il n’avait pas négligé la réalité humaine entre les élémens de la poésie. Il douait ses héros d’une double vérité, de la vérité éternelle, antérieure à toutes les histoires, contemporaine de tous les évènemens, et aussi d’une vérité déterminée, spéciale, qui relevait des temps et des lieux. — M. Hugo a pris le xve siècle de France, et avec quelques ligues de Mathieu, de Jean de Troyes, de Philippe de Comines et de Sauval, il a construit un édifice imposant, sonore, mais aussi lyrique, aussi personnel, aussi indépendant de l’histoire et de l’humanité que toutes ses odes. Phoebus, Claude Frollo, Quasimodo, Gringoire, la Esmeralda, et le vieux Louis xi, dans Notre-Dame, sont loin assurément d’égaler en vraisemblance, en vérité, en animation, Rebecca, Ulrique, Isaac, Henry Morton, Balfour de Burley, qui voudrait le nier ? Il y a entre les deux poètes la différence incommensurable de l’homme qui a vécu, et qui se souvient, à celui qui est demeuré solitairement dans sa pensée, et qui du faîte de sa conscience, comme du haut d’une tour dominant la plaine, a voulu deviner le paysage placé à l’horizon. Mais de sa conscience à la réalité de ce monde il y avait trop loin vraiment pour qu’il pût distinguer autre chose que les lignes flamboyantes du soleil couchant, la brume du crépuscule, ou tout au plus les bandes capricieuses qui découpent les collines comme la robe damassée d’une reine..

Et voici ce qui est arrivé : dans sa solitude volontaire et constante, il a pris en dégoût l’étude des faits qui ne l’atteignaient pas. Une fois venu au dédain de la réalité, il ne devait pas tarder à prendre en pitié les idées qui en dérivent. Et en effet il ne paraît pas faire grand cas des idées. Après l’élimination de ces deux ordres de pensées, les réelles et les vraies, il n’en restait plus qu’un, où il s’est réfugié à toujours, les belles, c’est-à-dire, dans le sens qu’il at-