une serpe d’une main et une lanterne de l’autre, je suis bien certain que jour pour jour, au bout du temps nécessaire à son retour de Bex à Paris, et à l’arrivée des journaux de Paris à Bex, j’aurais eu la surprise de lire dans la première gazette qui me serait tombée entre les mains, que l’auteur d’Antony avait eu le malheur de devenir fou pendant son voyage dans les Alpes, ce qui, n’eût-on pas manqué d’ajouter, est une perte irréparable pour l’art dramatique ! comme je vis, après les journées des 5 et 6 juin, mon article nécrologique dans un journal littéraire qui avait saisi cette occasion, pour faire son premier article à ma louange.
Et tout en me faisant ces réflexions qu’entretenait ma congélation croissante, je pensais à un escabeau que j’avais remarqué dans la cheminée de la cuisine, et sur lequel, au moment où j’avais quitté l’auberge, s’épanouissait, à quarante-cinq degrés de chaleur, un énorme chat de gouttière dont j’avais admiré l’incombustibilité, et je me disais : Aussitôt que je serai arrivé, j’irai droit à la cheminée de la cuisine, je chasserai le chat, et je me mettrai sur son escabeau.
En effet, dominé par cette idée, qui me donnait du courage, en me donnant de l’espoir, je précipitai le pas, et, comme pour me réchauffer provisoirement les doigts, je m’étais muni de la lanterne, j’arrivai sans accident, malgré ma course accélérée, à la porte de l’auberge dans l’intérieur de laquelle je devais trouver le bienheureux escabeau qui, pour le moment, était l’objet de tous mes désirs. Je sonnai en homme qui n’a pas le temps d’attendre. L’hôtesse vint nous ouvrir elle-même ; je passai auprès d’elle comme une apparition, je traversai la salle à manger, comme si j’étais poursuivi, et je me précipitai dans la cuisine.
Le feu était éteint !…
Au même instant, j’entendis la maîtresse de l’hôtel, qui m’avait suivi aussi vite qu’elle avait pu le faire, demander à Maurice. — Qu’est-ce qu’il a donc, ce monsieur ?
— Je crois qu’il a froid, répondit Maurice.
Dix minutes après, j’étais dans un lit bassiné, et j’avais à la portée de ma main un bol de vin chaud, les symptômes m’ayant paru assez inquiétans pour combattre le mal par les toniques et les révulsifs.