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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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Le siècle va vite ; il se hâte ; je ne sais s’il arrivera bientôt à l’une de ces vallées immenses, à l’un de ces plateaux dominans, où la société s’asseoit et s’installe pour une longue halte ; je ne sais même si jamais la société s’asseoit, se pose réellement, et si toutes les stations que nous croyons découvrir dans le passé de l’histoire, ne sont pas des effets plus ou moins illusoires de la perspective, de pures apparences qui se construisent ainsi et jouent à nos yeux dans le lointain. Quoi qu’il en soit, il est bien sûr pour nous, en ce moment, que le siècle va grand train, qu’une étrange activité l’accélère dans tous les sens ; qu’à lui tâter le pouls chaque matin, sa vie semble une fièvre, et que, si dans cette fièvre il entre bien des émotions passagères, de mauvais caprices, d’engouemens à la minute, il y a aussi là-dedans de bien nobles palpitations, une sérieuse flamme, des torrens de vie et de génie, et toute la marche d’un grand dessein qui s’enfante.

En vérité, plus les choses vont, plus elles se mêlent et se généralisent, et plus aussi il doit y avoir orgueil et satisfaction virile pour l’individu de se sentir en faire partie, d’en être ; — d’être un membre, même obscur, inconnu, même lassé et brisé, de cette foule humaine qui partout, sur tous les points, s’avance à son but dans un tumulte puissant. Qui n’aurait été fier au moyen âge de marcher comme soldat dans l’immense croisade de Pierre l’Hermite ? Être homme aujourd’hui, l’être d’intelligence et de cœur, c’est faire de même qu’alors, c’est cheminer avec tous dans une route laborieuse et confuse, mais dont le terme, à coup sûr, est sacré ! ils sont déjà loin de nous ces loisirs faciles, dédaigneux, où l’élite de la société, au balcon, regardait passer et se heurter la masse. La masse, à la fin, s’est irritée d’être en spectacle et en jeu ; elle s’est ruée ; elle a crié à son tour aux rois et aux puissans, tout pâles devant elle, de l’amuser du balcon ; ç’a été dans le premier moment une parade sanglante ; depuis lors il n’y a plus, à vrai dire, que de la foule et du peuple. Chacun en est plus ou moins, et s’arrange, comme il peut, pour faire route et regarder à la fois. Cette manière de voir est moins commode ; mais, somme toute, on voit mieux.