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rien, quand je suis avec vous pour vous aider à vivre, ou pour mourir si vous mourez.

Elle disait tout ça d’une voix si douce, qu’on aurait cru que c’était une musique. J’en étais tout ému, et je dis — Bonne petite femme, va !

Le jeune homme se mit à soupirer avec douleur, en frappant du pied et en baisant une jolie main et un bras nu qu’elle lui tendait.

— Oh ! Laurette, ma Laurette, disait-il, quand je pense que si nous avions retardé de quatre jours notre mariage ? on m’arrêtait seul, et je partais tout seul, je ne puis me pardonner.

Alors la belle petite pencha hors du hamac ses deux beaux bras blancs, nus jusqu’aux épaules, et lui caressa le front, les cheveux et les yeux, en lui prenant la tête comme pour l’emporter et la cacher dans sa poitrine. Elle sourit comme une enfant, et lui dit une quantité de petites choses de femme, comme moi je n’avais jamais rien entendu de pareil. Elle lui fermait la bouche avec ses doigts pour parler toute seule. Elle disait en jouant et en prenant ses longs cheveux comme un mouchoir pour lui essuyer les yeux :

— Est-ce que ce n’est pas bien mieux d’avoir avec soi une femme qui t’aime, dis, mon ami ? Je suis bien contente, moi, d’aller à Cayenne ; je verrai des sauvages, des cocotiers comme ceux de Paul et Virginie, n’est-ce pas ? Nous planterons chacun le nôtre. Nous verrons qui sera le meilleur jardinier. Nous nous ferons une petite case pour nous deux. Je travaillerai toute la journée et toute la nuit, si tu veux. Je suis forte, tiens, regarde mes bras ; tiens, je pourrais presque te soulever. Ne te moque pas de moi ; je sais très bien broder d’ailleurs, et n’y a-t-il pas une ville quelque part par là où il faille des brodeuses ? Je donnerai des leçons de dessin et de musique, si l’on veut aussi ; et si on y sait lire, tu écriras, toi.

Je me souviens que le pauvre garçon fut si désespéré, qu’il jeta un grand cri, lorsqu’elle dit cela. — Écrire — criait-il ! écrire !

Et il se prit la main droite avec la gauche, en la serrant au poignet.

— Ah ! écrire ! — pourquoi ai-je jamais su écrire ! écrire ! mais c’est le métier d’un fou ! — J’ai cru à leur liberté de la presse. — Où avais-je l’esprit ? Eh ! pourquoi faire ? pour imprimer cinq ou six pauvres idées assez médiocres, lues seulement par ceux qui les