Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/500

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
494
REVUE DES DEUX MONDES.

rition en soit très regrettable. Mais toutes les fois que l’occasion s’en présente, on remarque chez eux le même mépris, la même insouciance du passé, souvent le même acharnement grossier contre les nobles restes qui tombent malheureusement entre leurs mains. Cette tendance est surtout inexplicable et inexcusable chez ce qu’on appelle les grands propriétaires, chez l’ancienne noblesse de province, à qui tant de motifs indépendans de l’art devraient inspirer une sorte de culte pour ces vestiges de leur propre histoire. Eh bien ! en général il n’en est rien. Ni de glorieux souvenirs de famille, ni le respect des œuvres de leurs pères, ni les sympathies politiques qu’on leur impute pour le passé dont ces monumens sont l’image, rien de tout cela ne fait la moindre impression sur la majeure partie d’entre eux. Il eût été à désirer, au moins dans les intérêts de l’art, qu’ils eussent été conséquens à leurs opinions politiques à la manière de M. Voyer d’Argenson, qui, en vrai niveleur, a fait raser son beau château des Ormes en Poitou par amour de l’égalité. Par amour de l’ancien régime, la noblesse royaliste aurait dû nous conserver scrupuleusement ses castels. Mais point : vous les verrez laisser vendre sous leurs yeux et à vil prix, ou bien vendre eux mêmes impitoyablement le manoir de leurs pères, le lieu dont ils portent le nom, pour peu qu’un séjour plus rapproché de Paris ou même un avantage pécuniaire les séduise. S’ils daignent le conserver, ce sera pour en sacrifier mainte fois la partie la plus précieuse et la plus originale à une commodité du jour, à une invention parisienne : le plus souvent ils n’en feront aucun cas, ils ne se donneront pas même la peine de détruire, tandis qu’un peu d’intérêt et bien peu d’argent eussent suffi pour préserver ces illustres ruines des derniers outrages. Je crois qu’au risque d’envahir le domaine de la liberté individuelle, on peut et on doit infliger la publicité à des méfaits de ce genre. Vous en savez beaucoup plus long que moi sur ce sujet, mon ami, et j’espère que vous ne garderez pas toujours pour le cercle restreint de vos amis, ces plaisans récits qui nous ont souvent à la fois réjouis et indignés. Pour moi, je ne veux parler que de ce que j’ai vu par moi-même.

En entrant dans le Périgord, à Mareuil, on voit un château abandonné, appartenant à la famille qui porte le nom de cette province. C’est un type parfait de résidence féodale au treizième et même pendant la première moitié du quatorzième siècle. Ce château est dans l’état d’abandon le plus complet ; de charmans détails de sculpture dans les tympans des fenêtres et les fausses balustrades des croisées sont chaque jour endommagés par les fermiers qui l’habitent ; les toits des tourelles s’affaissent et entraînent des pans de murs avec eux ; on a même parlé de jeter bas la tour d’entrée