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DU VANDALISME EN FRANCE.

un système de préservation ; lui seul peut obtenir d’importans résultats avec de chétifs moyens ; lui seul enfin peut attacher à cette œuvre un caractère de popularité réelle, en y intéressant la foi des masses. Or, point d’art sans foi ; c’est un principe dont l’évidence ne nous est que trop douloureusement démontrée aujourd’hui. C’est la foi seule qui a pu peupler la France des innombrables richesses de notre architecture nationale ; c’est elle seule qui pourra les défendre et les conserver.

Je finis ici mon invective, rédigée d’après des notes bien incomplètes et des souvenirs bien confus. Vous-même, peut-être trouverez-vous que j’y ai mis trop de passion et d’amertume ; mais c’est que, voyez-vous, mon ami, nous autres catholiques, nous avons un motif de plus que vous pour gémir de cette brutalité sacrilège et pour nous indigner contre elle. C’est que nous allons adorer et prier là où vous n’allez que rêver et admirer ; c’est qu’il nous faut pour y bien prier nos vieilles églises, telles que la foi si féconde et la piété si ingénieuse de nos aïeux les ont conçues et créées, avec tout leur symbolisme inépuisable et leur cortége d’inspirations célestes cachées sous un vêtement de pierre. C’est que là se dresse encore devant nous la vie tout entière de nos aïeux, cette vie si dominée par la religion, si absorbée en elle, leur imagination si riche et si intarissable, mais en même temps si réglée et si épurée par la foi, leur patience, leur activité, leur résignation, leur désintéressement ; tout cela est là devant nous, leurs tièdes et faibles descendans, comme une pétrification de leur existence si exclusivement chrétienne. C’est que pas une de ces formes si gracieuses, pas une de ces pierres si fantastiquement brodées, pas un de ces ornemens qu’on appelle capricieux, n’est pour nous sans un sens profond, une poésie intime, une religion voilée. C’est qu’il nous est permis et presque commandé de voir dans cette croix allongée que reproduit le plan de toutes les églises anciennes, la croix sur laquelle mourut le Sauveur ; dans cette triplicité perpétuelle de portails, de nefs et d’autels, un symbole de la trinité divine ; dans la mystérieuse obscurité des bas-côtés, un asile offert à la confusion du repentir, à la souffrance solitaire ; dans ces vitraux qui interceptent en les tempérant les rayons du jour, une image des saintes pensées qui peuvent seules intercepter et adoucir les ennuis trop perçans de la vie ; dans l’éclatante lumière concentrée sur le sanctuaire, une lueur de la gloire céleste ; dans le jubé, un voile abaissé entre notre faiblesse et la majesté d’un sacrifice où la victime est un Dieu. L’orgue, n’est-ce pas la double voix de l’humanité, le cri glorieux de son enthousiasme mêlé au cri plaintif de sa misère ? Ces roses éclatantes de mille couleurs, cette vie végétale, ces feuilles de vigne, de chou, de lierre, moulées avec tant de finesse, n’indiquent-elles pas une sanctification de la nature, et de la nature humble et