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nos députés, ni même la chevaleresque étourderie royaliste de M. Thiers, au diable ce menu tracas législatif ! Ç’a été tout bonnement le carnaval qui a fait les frais et qui a eu les honneurs de cette quinzaine, mais un vrai et franc carnaval, comme on n’en avait pas encore vu de si gaîment improvisé, de mémoire de jeune France. Le dernier mois s’était passé aux querelles politiques, à aiguiser ses épées, à négocier des cartels : n’était-il pas juste de varier un peu son humeur ? On s’est amusé follement au carnaval de 1833, parce qu’il y avait long-temps qu’on ne s’était amusé, parce qu’il faut toujours en France en revenir aux plaisirs, parce qu’au milieu des soucis qui assombrissent et des vertus sérieuses que, dit-on (et je le crois), nous acquérons, nous sommes l’éternelle nation de la Fronde et de la Régence, le Paris de Rabelais, de Manon-Lescaut, du Mariage de Figaro et du Directoire ? Oui, nous sommes encore et nous resterons, je l’espère, quelque chose de tout cela ; à ceux qui pensent que notre jeunesse est en train de se faire doctrinaire, à ceux qui craignent que la future république n’affecte trop un jour le goût américain, nous répondrons par ce carnaval de 1833. L’originalité du pays, la verve nationale y a reparu par un jet soudain qui marque que rien n’a baissé dans notre humeur. Après plus de deux années de spleen, abattement, désappointement amer, ces jours de gaîté inattendue promettent ; nous retrouvons notre constitution saine et brillante ; cette quantité de forces surabondantes qui s’échappe ainsi en allégresse sans motif, s’échapperait non moins volontiers en héroïsme et dévoûment à une belle cause. L’émotion patriotique, si unanime, d’il y a un mois, n’est pas si étrangère qu’on le pourrait croire, à l’émotion joyeuse qui a brusquement succédé ; je veux dire que l’une et que l’autre se rattachent au même ressort interne, à une vigueur nationale qui se répare.

Les femmes du monde, on leur doit cette justice, se sont prêtées à merveille à l’attrait et à l’embellissement de cette renaissance ; elles ont multiplié l’éclat des fêtes particulières ; elles n’ont même pas absolument dédaigné ces tourbillons, moins étroits, mais plus enivrans, où la foule enhardit et protège le mystère. À la blancheur suave du cou et aux lignes voluptueuses de plus d’une pose indécise, il était aisé, jusque sous le masque, de saisir la curiosité de l’aristocratique beauté qui se confiait là, pour la première fois, à quelque guide heureux et fier : c’était une nuance nouvelle en ces sortes de lieux que de suivre ainsi un embarras charmant, dissipé à mesure. Nous notons ceci comme un fait ; nous n’adressons aucun reproche ; nous serions tenté plutôt de féliciter, si nous l’osions ; deux ou trois carnavals comme le dernier feront plus, à coup sûr, pour l’émancipation réelle de la femme, que quatre ou cinq religions ex professo.

Nous avons sous les yeux un roman nouveau intitulé la Saint-Simo-