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BECERRILLO.

nombre, que deux hommes contre eux tous ne pouvaient s’attendre à autre chose qu’à la mort ; que se rejeter de nouveau dans un péril auquel on venait d’échapper, c’était tenter Dieu, et non faire acte de courage. Salazar, l’ayant laissé dire jusqu’au bout, lui répondit tranquillement : Voyez, Xuares, si vous avez peur de venir avec moi, partez, à la bonne heure ; vous pouvez continuer seul votre route, désormais il n’y a plus de danger. Pour moi, il faut que j’aille savoir ce que me veulent ces Indiens. Je ne veux pas qu’ils puissent croire que la crainte m’a empêché de retourner vers eux.

« Il n’y avait plus d’objections à faire, et Xuares, qui était homme de bien, sentit qu’il ne pourrait sans honte refuser de partager une seconde fois les dangers du brave auquel il devait la vie. Il le suivit donc, quoique fort à contre-cœur. En arrivant au village, nos deux Espagnols trouvèrent le cacique très grièvement blessé, et Salazar lui ayant demandé ce qu’il voulait, l’Indien répondit qu’il avait à lui demander une grâce, celle de permettre qu’il portât dorénavant son nom, et s’appelât, comme lui, Salazar, ajoutant qu’il lui aurait une extrême obligation de cette faveur et serait éternellement son ami. Salazar répondit qu’il lui accordait de grand cœur sa demande, et aussitôt les Indiens se mirent à crier, pleins de joie, Salazar ! Salazar ! comme si le capitaine eût donné à leur chef sa valeur en lui donnant son nom.

« Le cacique, pour première marque de l’amitié dont il venait de faire profession, et comme témoignage de reconnaissance pour le don qui venait de lui être octroyé, fit présent au capitaine de quatre naborias ou esclaves destinés à le servir, et de différens joyaux et objets précieux, après quoi les deux chrétiens se séparèrent de lui fort satisfaits et revinrent vers leurs compatriotes. À partir de ce moment, le capitaine fut en telle estime de courage parmi les Indiens, que si quelque Espagnol fanfaron menaçait un d’eux, celui-ci avait coutume de répondre : Ne penses-tu pas que je te vais craindre comme si tu étais un Salazar ?

« J. Ponce de Léon, qui était, comme je l’ai dit, gouverneur de Porto-Rico, sut aussi apprécier convenablement les hautes qualités de Salazar : il le fit capitaine et lui donna autorité sur un certain nombre des soldats et gentilshommes qui étaient venus tra-