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REVUE DES DEUX MONDES.
ANDRÉ.

Te voilà bien, avec tes coups de rapière, brave Lionel ! on ne tue aujourd’hui que les moribonds ; le temps des épées est passé en Italie. Allons, allons, mon vieux, laisse dire les bavards, et tâchons d’être de notre temps, jusqu’à ce qu’on nous enterre.

(Damien entre.)

Eh bien ! mon cher Damien, Cordiani vient-il aujourd’hui ?

DAMIEN.

Je ne crois pas qu’il vienne, il est malade.

ANDRÉ.

Malade ! lui ! Je l’ai vu hier soir. Il ne l’était point. Sérieusement malade ? allons chez lui, Damien. Que peut-il avoir ?

DAMIEN.

N’allez pas chez lui, il ne saurait vous recevoir. Il s’est enfermé pour la journée.

ANDRÉ.

Oh ! non pas pour moi. Allons, Damien.

DAMIEN.

Sérieusement, il veut être seul.

ANDRÉ.

Seul ! et malade ! tu m’effraies. Lui est-il arrivé quelque chose ? une dispute ? un duel ? violent comme il est, ah ! mon Dieu ! mais qu’est-ce donc ? il ne m’a rien fait dire ; il est blessé, n’est-ce pas ? Pardonnez-moi, mes amis. (Aux peintres qui sont restés et qui l’attendent.) Mais vous le savez, c’est mon ami d’enfance, c’est mon meilleur, mon plus fidèle compagnon.

DAMIEN.

Rassurez-vous ; il ne lui est rien arrivé. Une fièvre légère ; demain vous le verrez bien portant.

ANDRÉ.

Dieu le veuille ! Dieu le veuille ! ah ! que de prières j’ai adressées au ciel pour la conservation d’une vie aussi chère ! Vous le dirai-je, ô mes amis ! dans ces temps de décadence où la mort de Michel-Ange nous a laissés, c’est en lui que j’ai mis mon espoir ; c’est un cœur chaud, mais un bon cœur. La Providence ne laisse pas s’égarer de telles facultés ; que de fois, assis derrière lui, tandis qu’il parcourait du haut en bas son échelle, une palette à la main, j’ai senti se gonfler ma poitrine, j’ai étendu les bras, prêts à le serrer sur mon cœur, à baiser ce front si jeune et si ouvert, d’où le génie rayonnait de toutes parts ! Quelle facilité ! quel enthousiasme ! mais quel sévère et cordial amour de la vérité ! Que de fois j’ai pensé avec délices