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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

tuoses de la chambre du prince royal. Il leur faisait connaître ses œuvres à peine terminées, leur disait comment il en rêvait l’exécution, et les initiait à la pensée qui dominait en elles. Aussi bientôt ce fut un bruit dans Vienne, que, pour sentir et apprécier dignement la musique instrumentale de Beethoven, il fallait l’entendre exécuter par ces artistes. La liaison amicale et en même temps utile qu’il entretint avec Salieri, éveilla en Beethoven le désir d’écrire un opéra. On arrangea pour lui une pièce française, l’Amour conjugal (Fidelio), qu’il destinait au théâtre de Vienne, où il fut logé gratuitement. Ceux qui le fréquentèrent à cette époque purent seuls apprécier la candeur, la pureté céleste de son âme. — Beethoven, en l’espace de deux ans, créa dix chefs-d’œuvre, dont un seul suffirait à la gloire d’une école : d’abord Fidelio dont le finale nous a tous remués jusqu’aux entrailles, puis l’oratorio du Christ aux Oliviers, puis les concertos de violon dont vous n’avez encore entendu que des fragmens, et que vous entendrez ensuite tout entiers quand votre éducation musicale sera complète ; la symphonie pastorale, création ravissante de jeunesse, de pureté, de fraîcheur ; l’héroïque, chef-d’œuvre adopté par l’Allemagne dès sa naissance, et devant lequel Paris s’est incliné ; celle en la, au magnifique andante ; des concertos de piano, etc., etc. — Quelles années, mon Dieu ! quelle profusion de jouissances ! que de voluptés il a dû ressentir dans cette vie de création et d’harmonie que rien n’interrompait encore ! Cependant Fidelio échoua à ses premières représentations ; deux choses s’opposaient au succès, l’exécution faible et impuissante, et les approches de la guerre, qui détournaient l’attention générale sur des sujets plus importans. Lorsqu’il fit représenter Fidelio à Prague, les symphonistes furent arrêtés dès les premières mesures de l’ouverture, et Beethoven, voyant qu’il était inutile de les faire pâlir sur une musique encore inexécutable pour eux, leur en écrivit une plus facile ; car il aima mieux, le grand artiste, sacrifier son travail et le refaire, que de le voir livré à l’ineptie de ces malheureux praticiens. L’année suivante, les directeurs du théâtre de Karlnerthor, Paul Weinmuller et Vogel, choisirent Fidelio pour leur représentation à bénéfice. L’ouvrage prit alors la forme qu’il conserve encore aujourd’hui ; il fut réduit en deux actes, et devait être précédé de l’imposante ouverture en mi ;