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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/287

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BEATA.

qui lui fit claquer les dents ; une espèce de remords, ce qui lui parut très bouffon, et ce qui le fit rire. Mais le sérieux lui remonta bien vite au visage ; alors comme une bête fauve dans sa loge, la tête pendante et l’œil hagard, il se mit à arpenter la chambre à grands pas, et de long en large ; et toutes les fois, en passant, qu’il heurtait du pied le fauteuil où reposait sa femme, un saisissement rapide, un frisson magnétique lui chagrinait la peau.

Après une perte au jeu, il n’y a guère que deux choses à faire, se jeter à l’eau, ou s’aller coucher ; le choix dépend du tempérament et de la somme perdue : toutefois, lorsqu’on n’a pas pris le premier parti, le second est un topique admirable pour apaiser les sens, et rafraîchir la tête.

Oh ! qu’il est doux, qu’il est doux, lorsqu’on a le cœur plein et la poche vide, de prendre ses jambes à son cou, et à travers vent, grêle, nuit et tempête, de grimper à son cinquième étage, de s’envelopper entre deux draps, de silence et d’obscurité, et là seul avec son infamie, de trépigner, de mordre, de jurer, de se traiter de lâche, de misérable, de se plaindre, de se maudire, de ruminer enfin son fiel et sa bile, jusqu’à ce que le sommeil et la fatigue viennent vous prendre et vous enlever dans l’autre monde. Mais retomber d’une bouillote ou d’une roulette au milieu d’une famille, coucher sa tête sur un sein de femme, entendre un cœur bondir d’inquiétude à côté de soi, voir des yeux, des bouches qui vous regardent et vous interrogent, comprimer sa rage, et ne pas pouvoir la suer par tous les pores, c’est passer d’un enfer dans un autre, c’est changer de tortures, prendre du plomb fondu après des fers rouges…, c’est éprouver le supplice d’Otto. Le pauvre diable n’en pouvait plus : pas un sou, criait-il à voix basse ; pas un sou, ruiné, rongé jusqu’à l’os, plus rien…, et de la misère, de la misère pour deux, pour trois, pour quatre…, car la misère est prolifique en diable ; de la misère… impossible ! Il y avait une carafe pleine d’eau sur la cheminée ; Otto la prit, et l’aspirant avec énergie, il la vida d’une seule haleine, tant il avait soif… ; il recommença ses grands pas, et se remit à tourner autour de la chambre en répétant toujours sourdement comme Hamlet : De la misère… pouah !… Oh ! rien n’est mauvais comme de tourner ; le loup tourne, la sorcière tourne, l’aigle tourne ; tourner appelle le mal ; l’enfer vient en