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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/289

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BEATA.

contriste et vous désole ; le ciel est terne, les feuilles sont jaunes, les arbres noirs ; il fait froid, l’âme frissonne au-dedans du corps, et les idées de mort vous tombent des arbres avec les feuilles. Enfin l’on a besoin de rencontrer des gens qui marchent, qui remuent, qui parlent, qui se portent bien ; du mouvement, de l’action, pour croire à la vie. C’est surtout dans un pays de montagnes et peu habité que ce déclin de l’année impressionne péniblement : là, tout contribue à la tristesse, de grandes masses noires, immobiles comme des tombes, un jour qui filtre avec peine à travers leurs croupes rases et pelées, et nul être vivant ; ou bien une vache, une chèvre, qui pendent aux flancs d’un coteau ; aussi, le séjour des eaux, si ravissant et si frais l’été dans la montagne, devient-il un désert et une solitude affreuse au commencement de la mauvaise saison. C’était donc par une fin d’automne bien triste qu’une petite cariole d’osier, attelée d’un petit cheval maigre, roulait sur la route de Spa à Malmédy.

L’intérieur de la voiture était composé du conducteur, maître de la cariole, et de deux voyageurs : le plus jeune occupait le fond, assis sur des paquets, emmailloté dans un manteau, et le chapeau sur le nez ; le plus âgé partageait la banquette du cocher : c’était un gros Allemand, frais, taciturne et grand fumeur. À une petite lieue de la ville, ce brave homme tira sa blague, bourra sa pipe et battit le briquet ; alors ses joues devinrent un volcan et laissèrent échapper des flots de fumée, capable d’asphixier un monde. Son compagnon de droite n’eut pas plus tôt senti l’odeur du tabac, qu’il tira de sa poche un grand tuyau de pipe, en corne, et dépourvu de cheminée. Alors sans s’inquiéter, et comme s’il eût tenu entre les dents le plus beau houka de l’Inde, la plus belle écume de mer chargée du meilleur Saint-Vincent, il se mit à sucer gravement le morceau de corne, à gonfler sa joue et à cracher de temps à autre, comme un véritable fumeur. Grande fut la surprise du voyageur mais en sa qualité d’Allemand, il laissa couler quelques minutes avant de faire paraître son étonnement ; il attendait toujours une cheminée au bout de la pipe, du tabac et l’étincelle du briquet ; point, rien n’arrivait. — L’autre fouettait toujours son petit cheval maigre, et fumait toujours son morceau de corne. Enfin, impatienté de voir un homme fumer sans pipe, il ouvrit largement la