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REVUE DES DEUX MONDES.

VII.

Otto, car c’était lui qui venait d’arriver à la Sauvenière, dans une mince cariole, Otto ne fut pas long-temps sans trouver la chaumière du vieux Hongrois ; à une demi portée de fusil du village, il découvrit, au milieu d’un petit bouquet de pâles bouleaux, et sur le bord d’un ruisseau rapide, un bâtiment assez vaste, au dos duquel était appendu, comme un nid d’hirondelle au flanc d’un mur, un long toit de sapin qui descendait jusqu’à terre ; ce toit cachait ou couvrait une ou deux croisées à travers lesquelles filtrait une faible lueur rouge. Ce fut vers ce hangar, cette chetive maison, que le comte dirigea ses pas.

La porte était ouverte, il entra dans une salle basse et humide. D’abord il ne vit rien ; mais bientôt, à l’aide de plusieurs charbons qui roulaient dans l’âtre, et à force de rester dans l’obscurité, ses yeux, comme s’il eût été dans une cave ou une prison, percèrent peu à peu l’ombre épaisse, et finirent par distinguer, au coin de la cheminée, un vieillard à demi perdu dans un grand fauteuil de chêne. Son front, chauve et poli comme un genou de femme, luisait à la lumière du feu ; ses bras, agités par un mouvement régulier, allaient et revenaient en harmonie avec son pied. On aurait dit qu’il jouait d’un instrument et qu’il battait la mesure ; il filait tout simplement, il filait une grosse quenouille de lin, sans s’apercevoir le moins du monde qu’il venait d’entrer quelqu’un. — Un ouvrage de femme dans une main d’homme est presque toujours un cachet de décrépitude ou d’imbécillité ! Otto, tout préoccupé qu’il était, ne put s’empêcher d’y réfléchir pendant une ou deux minutes ; il resta là, devant ce vieux fileur, les bras croisés et l’œil tendu, comme un voyageur près d’une ruine ; il pensait aux ravages du temps, il avait peine à concevoir que ce corps d’homme, si ferme et si robuste autrefois, branlât maintenant comme une vieille lampe sans lumière ; que ces genoux vigoureux, qui avaient poussé un cheval au milieu d’une mêlée, fussent si chétifs et si retirés ; que cette main, si bonne à manier un sabre, eût tout au plus la force de soutenir un fuseau ; enfin, que toute la pensée d’un homme fût réduite au mouvement d’un rouet.