on ne peut apercevoir, même pendant le jour, que lorsqu’on y est presque arrivé : un marronnier nous attendait sur sa porte, — porte ouverte nuit et jour gratuitement, à quiconque vient y demander l’hospitalité, qui, dans ce lieu de désolation, est souvent la vie.
Nous fûmes reçus par le frère qui était de garde, et conduits dans une chambre où nous attendait un excellent feu. Pendant que nous nous réchauffions, on nous préparait nos cellules : la fatigue avait fait disparaître la faim, aussi préférâmes-nous le sommeil au souper. On nous servit une tasse de lait chaud dans notre lit : le frère qui m’apporta la mienne, me dit que j’étais dans la chambre où Napoléon avait dîné ; quant à moi, je crois que c’est celle où j’ai le mieux dormi.
Le lendemain, à dix heures, nous étions tous sur pied, et faisions l’inventaire de la chambre consulaire, qui m’était échue en partage : rien ne la distinguait des autres cellules, aucune inscription n’y rappelait le passage du moderne Charlemagne.
Nous nous mîmes à la fenêtre : le ciel était bleu, le soleil brillant et la terre couverte d’un pied de neige.
Il est difficile de se faire une idée de l’âpre tristesse du paysage que l’on découvre des fenêtres de l’hospice, situé à sept mille deux cents pieds au-dessus du niveau de la mer, et placé au milieu du triangle formé par la pointe de Dronaz, le mont Velan et le grand Saint-Bernard. Un lac entretenu par la fonte des glaces et situé à quelques pas du couvent, loin d’égayer la vue, l’assombrit encore ; ses eaux, qui paraissent noires dans leur cadre de neige, sont trop froides pour nourrir aucune espèce de poisson, trop élevées pour attirer aucune espèce d’oiseau. C’est en petit une image de la mer Morte, couchée aux pieds de Jérusalem détruite. Tout ce qui est doué d’une apparence de vie animale ou végétale s’est échelonné sur la route, selon que sa force lui a permis de monter : l’homme et le chien seuls sont arrivés au sommet.
C’est ce morne tableau sous les yeux, c’est là seulement où nous étions qu’on peut prendre une idée du sacrifice de ces hommes qui ont abandonné les vallons ravissans du pays d’Aoste et de la Tarentaise, la maison paternelle qui se mirait peut-être aux flots bleus du petit lac d’Orta, qui brille, ardent, humide et profond,