cher est couvert d’une couche de poussière d’un pied et demi. —
Poussière humaine !
Cette poussière, qui semble, comme les flots épais de la mer Morte, rejeter à sa surface les objets les plus lourds, est couverte d’une multitude d’ossemens. —
Ossemens humains !
Et sur ces ossemens, debout, adossés aux murs, groupés avec la bizarre intelligence du hasard, conservant chacun l’expression et l’attitude dans laquelle la mort les a surpris, les uns à genoux, les autres, les bras étendus ; ceux-ci les poings fermés et la tête baissée, ceux-là le front et les mains au ciel ; cent cinquante cadavres, noircis par la gelée, aux yeux vides, aux dents blanches, et au milieu d’eux une femme, une pauvre femme qui a cru sauver son enfant en lui donnant son sein, et qui semble, au milieu de cette réunion infernale, une statue de l’amour maternel.
Tout cela renfermé dans cette chambre : poussière, ossemens ou cadavres, selon l’époque dont ils datent ; et à la fenêtre de cette chambre, éclairées par un soleil joyeux, des têtes de femmes, jeunes et belles, la vie animée depuis vingt ans à peine contemplant la vie éteinte depuis des siècles. — Ah ! c’était un spectacle bien étrange, allez !…
Quant à moi, je verrai ce spectacle toute ma vie ; toute ma vie, je verrai cette pauvre mère qui donne le sein à son enfant.
Que dire après cela du Saint-Bernard ? Il y a bien encore une église, où est le tombeau de Desaix, une chapelle dédiée à sainte Faustine, une table de marbre noir où est gravée une inscription en l’honneur de Napoléon… il y a bien mille autres choses encore. Mais, croyez-moi, faites-vous montrer ces choses avant d’aller voir cette pauvre mère qui donne le sein à son enfant !…
- ↑ Nous sommes forcés de renvoyer à une autre livraison la Vie aux eaux d’Aix, qui devait venir à la suite de ce chapitre.