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DU THÉÂTRE ESPAGNOL.

claire, et son action, moins embarrassée, marche et se développe avec plus de liberté. Il ne sait point accumuler tant d’incidens, mais il fatigue moins l’attention, et n’ayant point autant serré son nœud, il le dénoue plus aisément. Moreto n’est sans doute pas exempt de mauvais goût, et l’on trouve dans ses compositions tous les défauts de l’école. Cependant il est plus sobre que Calderon de ces pensées subtiles et alambiquées, de ces tirades pompeuses et vides, de ces hors-d’œuvre prétentieux et insipides qui déparent tout le théâtre espagnol. Son style est plus simple, son dialogue plus vif, ses plaisanteries plus naturelles. Il me semble que, si on ouvrait un concours entre tous les théâtres de l’Europe, et qu’il fallût représenter celui de l’Espagne par une seule pièce, on ne pourrait mieux choisir, au milieu des innombrables richesses qu’il possède, que la comédie de Moreto intitulée El desden con el desden (l’indifférence contre l’indifférence), dont Molière a donné, dans la Princesse d’Élide, une copie décolorée.

Moreto n’a pas seulement l’honneur de s’être placé, dans la comédie d’intrigue, au niveau de Lope et de Calderon. Il a, le premier peut-être, ouvert une route nouvelle, en esquissant des comédies de caractère qu’on appelait alors comedias de figuron, et dont l’action, jusque-là dispersée entre tous les personnages d’une double ou triple intrigue, se resserrait autour d’un seul homme, dans lequel était personnifié quelque vice ou quelque ridicule. Telles sont, par exemple, ses comédies El lindo don Diego, qu’on pourrait appeler le Fat, et el marquez de Cigarral, autre espèce de don Quichotte, devenu fou à force de relire ses parchemins et de compter ses quartiers de noblesse. Cette heureuse innovation, qui amena les chefs-d’œuvre de la scène, et dont Moreto peut être regardé comme le principal auteur, suffit pour lui assigner un rang distingué parmi les maîtres du théâtre.

À la même époque vivait un autre poète dramatique qui ne jouit pas durant sa vie de toute la célébrité qu’il obtint ensuite, et qui, par un hasard inexplicable, est resté tellement inconnu aux nations étrangères, que les plus célèbres critiques, Signorelli, Schlegel, Sismondi, n’ont pas même prononcé son nom. Bouterwek est le seul qui le mentionne ; encore est-ce d’une manière inexacte et insignifiante. C’était un moine de la Merci, nommé Fray-Gabriel