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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/472

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REVUE DES DEUX MONDES.

bras des statues agenouillées ; les cyprès éplorés, laissant tomber languissamment leurs branches sur ces fronts livides, enveloppaient déjà le monument confié à la protection de l’oubli.

— C’est là, dit Lélia, en écartant les longues herbes qui cachaient l’inscription, le tombeau d’une femme morte d’amour et de douleur !…

— C’est un monument plein de religion et de poésie, dit Sténio. Voyez comme la nature semble s’enorgueillir de le posséder ! Comme ces festons de fleurs l’enlacent mollement, comme ces arbres l’embrassent, comme l’eau en baise le pied avec tendresse ! Pauvre femme morte d’amour ! Pauvre ange exilé sur la terre et fourvoyé dans les voies humaines, tu dors enfin dans la paix de ton cercueil, tu ne souffres plus. Viola ! Tu dors comme ce ruisseau, tu étends dans ton lit de marbre tes bras fatigués, comme ce cyprès penché sur toi. Lélia, prends cette fleur de la tombe, mets-la sur ton sein, respire-la bien souvent, mais respire-la vite avant que, séparée de sa tige, elle perde ce virginal parfum qui est peut-être l’âme de Viola, l’âme d’une femme qui a aimé jusqu’à en mourir. Viola ! s’il y a quelque émanation de vous dans ces fleurs, si quelque souffle d’amour et de vie a passé de votre sein dans ce mystérieux calice, ne pouvez-vous pénétrer jusqu’au cœur de Lélia ? Ne pouvez-vous embraser l’air qu’elle respire, et faire qu’elle ne soit plus là, pâle, froide et morte, comme ces statues qui se regardent d’un air mélancolique dans le ruisseau ?

— Enfant ! dit Lélia, en jetant la fleur au cours paresseux de l’eau et en la suivant d’un regard distrait, croyez-vous donc que je n’aie pas aussi ma souffrance, âpre et profonde comme celle qui a tué cette femme ? Eh ! que savez-vous ? Ce fut là peut-être une vie bien riche, bien complète, bien féconde. Vivre d’amour et en mourir ! C’est beau pour une femme ! Sous quel ciel de feu étiez-vous donc née, Viola ? Où aviez-vous pris un cœur si énergique, qu’il s’est brisé au lieu de ployer sous le poids de la vie ? Quel dieu avait mis en vous cette indomptable puissance que la mort seule a pu détrôner de votre âme ? Ô grande ! grande entre toutes les créatures ! vous n’avez pas courbé la tête sous le joug, vous n’avez pas voulu accepter la destinée, et pourtant vous n’avez pas hâté votre mort comme ces