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REVUE. — CHRONIQUE.

min des honneurs à l’Arbogaste de M. Viennet et autres héros de même force, destinés à relever la scène française. D’autre part, les romantiques, j’entends les exagérés de la secte, ont porté des doléances en sens opposé à M. Thiers, qui de tout ceci aurait dû conclure naturellement que le futur directeur occupait à tout le moins un juste-milieu littéraire, et se réjouir d’une si belle découverte. Mais il n’en a pas été ainsi. Quel parti pensez-vous donc qu’aient embrassé dans tout ceci les hommes actuellement au pouvoir, ces mêmes hommes qui hier traduisaient Shakespeare, Schiller, exaltaient l’étude du moyen âge, prêchaient presque une croisade contre Racine et Voltaire, faisant à peine grâce à Corneille et Molière en qualité de romantiques et d’imitateurs du théâtre espagnol ; qui enfin avaient conçu un théâtre sans règles, une peinture sans dogmes, une sculpture sans autorités ; l’art, en un mot, livré à la fantaisie individuelle dans la plus large acception du terme ? Eh bien ! ces hommes qui parlaient ainsi hier ont bravement pris le parti de M. Viennet et consorts. Les habiles du parti vous diront naïvement : « Il s’agit ici de quelque chose de plus important que la littérature. Le romantisme, en accoutumant la jeunesse à ne pas reconnaître de règles, la conduit naturellement aux idées révolutionnaires. Au fond, voyez-vous, nous gardons nos doctrines romantiques, mais pour en user in petto et en jouir entre nous. En notre qualité d’hommes du pouvoir, nous prêchons le classicisme, qui plie l’homme dès le jeune âge à l’obéissance, etc. »

Bref, la nomination n’a pas eu lieu, et la place de sauveur de la Comédie Française est toujours vacante.

En attendant que le salut lui vienne des bureaux de M. Thiers, le Théâtre Français fait de lui-même un dernier effort pour maintenir sa barque à flot. Il vient d’annoncer l’apparition prochaine d’une pièce nouvelle de M. Casimir Delavigne, les Enfans d’Édouard, dont les répétitions avaient lieu depuis quelque temps avec un certain mystère. Je ne doute pas que le drame de M. Delavigne n’obtienne un honnête succès ; mais dût-il exciter le même enthousiasme que firent naître jadis les Vêpres Siciliennes à l’Odéon, il ne lui sera donné pas plus qu’à tout autre drame isolé, de tirer le Théâtre Français de sa léthargie mortelle. Ce sera tout au plus un palliatif passager. Ce qu’il faudrait au vieillard décrépit, ce serait une copieuse injection de sang neuf dans ses vieilles veines, le rajeunissement d’Elmire, et l’abandon de ses traditions surannées. Peut-être alors pourrait-il encore voir le public prendre le chemin du Palais-Royal.

Je pourrais dire de belles choses sur ce sujet, lecteur, mais vous ne connaissez pas tous les périls de la critique, tout les dangers du feuilleton. Depuis quelque temps, une certaine coutume commence à s’intro-