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LES LOIS ET LES MŒURS.

mais la loi des brahmes, toute religieuse, toute pacifique, a cherché à établir la subordination des Kchatryas par l’affaiblissement de l’esprit belliqueux, même de la force physique. C’est dans ce but, sans doute, qu’elle a réprouvé l’usage de manger de la chair, réprobation qui n’existait pas dans les mœurs, ni même, au moins d’une manière absolue, dans les lois primitives de l’Inde ; car cette défense, aujourd’hui généralement observée, n’est qu’en germe dans les lois de Manou.[1]

Les brahmes, en inspirant l’horreur du sang, le respect de la vie de tous les êtres, ce qui s’accordait du reste avec leur croyance au panthéisme, se sont efforcés de dompter l’esprit belliqueux qu’ils redoutaient dans la caste dont ils voulaient faire et dont ils ont su faire leur instrument. Le succès les a punis. Toujours placés entre la crainte de l’insurrection des Kchatryas et le besoin qu’ils avaient de leur protection, en vain les brahmes leur ont-ils crié, au jour du péril, de combattre vaillamment pour eux, selon le devoir de la classe militaire[2] ; en vain ont-ils proclamé que le soldat tué en fuyant assume tous les péchés de son chef, et que le chef, dans ce cas, hérite de toutes les bonnes œuvres que le soldat avait amassées pour la vie future[3] ; le Tartare ou l’Anglais, nourris de chair et élevés dans le mépris du sang, ont vaincu facilement l’Indien frugivore ; et pour avoir affaibli les mœurs militaires qui devaient la défendre, la loi des brahmes s’est vue menacée de faire place au Coran ou à l’Évangile.

À l’égard des femmes se manifeste une autre action de la loi sur les mœurs. Quand on voit l’état de dépendance et d’asservissement auquel la femme est réduite dans l’Inde, on ne peut s’empêcher d’en chercher au moins en partie la cause dans cette loi qui proclame que jour et nuit les femmes doivent être tenues par leurs protecteurs dans un état de dépendance… qui ajoute : « Leurs pères les protègent dans l’enfance, leurs maris dans la jeunesse, leur fils dans la vieillesse. Une femme n’est jamais capable d’indépendance. »[4]

C’est encore le désir de la domination et la crainte d’un pouvoir rival qui ont porté les brahmes à proclamer l’infériorité et à prescrire la soumission illimitée des femmes à leurs époux. Ils ont écrit leur esclavage

  1. Il est accordé de manger des viandes permises sans péché. (Ch. iv, 32.) Cependant l’abstinence est conseillée plus loin : manger de la chair entraîne la souffrance des animaux et le meurtre des animaux, c’est un obstacle au chemin de la béatitude. Abstenons-nous donc de manger de la chair. (Loi de Manou, 47-8-9.)
  2. Manou, viii, 87-88.
  3. id. viii, 94-95.
  4. id. ix, 2-3.