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nous traçons l’histoire, nous trouverons d’abord qu’à Sparte les mœurs ont ployé sous les lois et qu’à Athènes les lois ont obéi aux mœurs.

Que Lycurgue soit un personnage réel, qu’il soit, comme on commence à le croire, un personnage mythique, peu importe. Toujours est-il que la tradition nous le représente agissant à la manière d’un législateur oriental. Il parle au nom d’une divinité, au nom de l’Apollon de Delphes, de l’Apollon Dorien. Ce n’est qu’après que la Pythie l’a déclaré le plus sage des hommes, et lui a expressément annoncé qu’il fonderait la meilleure des républiques, ce n’est qu’investi par elle d’une autorité sacrée, qu’il se met à l’œuvre, et ses lois s’appellent des oracles (rethra). Veut-il instituer son sénat, son grand moyen politique, le sénat, destiné à faire équilibre entre les rois et le peuple, il a soin qu’un oracle spécial en prescrive l’établissement. En un mot, Lycurgue est un Moïse dont la montagne de Delphes est le Sinaï.

Parlant ainsi au nom de la religion, Lycurgue n’a pas besoin de ménager beaucoup les mœurs de ses concitoyens. La propriété était très inégalement répartie, Lycurgue divise la terre en neuf mille lots égaux qu’il partage entre les Spartiates, et qu’il défend d’aliéner. Il anéantit le commerce et l’industrie par sa monnaie de fer, brise d’un coup toutes les existences, détruit toutes les fortunes ; on se plaint, mais on se soumet, car le trépied a parlé.

Lycurgue poursuit son œuvre : d’abord il faut qu’il permette à l’enfant d’exister ; si cette matière vivante n’est pas propre à entrer dans son moule, il la rejette impitoyablement.

La vie tout entière des Spartiates, comme l’a dit excellemment Aristote, n’était qu’une sévère discipline. Cette discipline les prenait au berceau, car les nourrices avaient ordre de faire jeûner de temps en temps les enfans qu’elles allaitaient. Un peu plus grands, on les fouettait à l’autel de Diane pour les accoutumer et les endurcir à la douleur. Devenus citoyens, ils étaient tenus comme les enfans sous la verge de la loi. Tous devaient être vêtus de la même manière, tous devaient manger en commun ; un petit nombre de mets seulement étaient autorisés, les voyages étaient interdits, le célibat puni, la règle s’étendait à tout.

Il n’est pas jusqu’aux sentimens les plus naturels, ceux qui font partie, pour ainsi dire, de l’âme humaine, qui ne fussent foulés aux pieds par cette législation d’airain ; elle ne s’attaquait pas seulement aux mœurs d’un peuple, mais aux mœurs communes du genre humain. Elle arracha aux mères leurs enfans, elle déchira la tunique des vierges, elle défendit de pleurer plus de douze jours les parens perdus, elle ordonna au mari d’abandonner sa couche à un étranger plus robuste, elle fit du vol une