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REVUE DES DEUX MONDES.

pas que je l’ai volé, Lionel ? Vous reviendriez cent fois que ce serait de même.

MONTJOIE.

Cela est incroyable.

ANDRÉ.

Pas du tout ; cela est tout simple. J’avais une femme… Non ! non ! Je veux dire seulement que j’ai usé de l’argent du roi de France, comme s’il m’appartenait.

MONTJOIE.

Est-ce ainsi que vous exécutez vos promesses ? Où sont les tableaux que François Ier vous avait chargé d’acheter pour lui ?

ANDRÉ.

Les miens sont là-dedans ; prenez-les, si vous voulez ; ils ne valent rien. J’ai eu du génie autrefois, ou quelque chose qui ressemblait à du génie ; mais j’ai toujours fait mes tableaux trop vite, pour avoir de l’argent comptant. Prenez-les cependant. Jean, apporte les deux tableaux que tu trouveras sur le chevalet. Ma femme aimait le plaisir, messieurs. Vous direz au roi de France qu’il obtienne l’extradition, et il me fera juger par ses tribunaux. Ah ! le Corrège, voilà un peintre ! il était plus pauvre que moi. Mais jamais un tableau n’est sorti de son atelier un quart d’heure trop tôt. L’honnêteté ! l’honnêteté ! voilà la grande parole. Le cœur des femmes est un abîme.

MONTJOIE, à Lionel.

Ses paroles annoncent le délire. Qu’en devons-nous penser ? Est-ce là l’homme qui vivait en prince à la cour de France, dont tout le monde écoutait les conseils, comme un oracle en fait d’architecture et de beaux-arts ?

LIONEL.

Je ne puis vous dire le motif de l’état où vous le voyez. Si vous en êtes touché, ménagez-le. (On apporte les deux tableaux.)

ANDRÉ.

Ah ! les voilà. Tenez, messieurs, faites-les emporter. Non pas que je leur donne aucun prix. Une somme si forte, d’ailleurs ! de quoi payer des Raphaël. Ah ! Raphaël ! il est mort heureux, dans les bras de sa maîtresse.

MONTJOIE, regardant.

C’est une magnifique peinture.

ANDRÉ.

Trop vite ! trop vite ! Emportez-les ; que tout soit fini. Ah ! un instant. (Il arrête les porteurs.) Tu me regardes, toi, pauvre fille ! (À la figure de la Charité, que représente le tableau.) Tu veux me dire adieu ? C’était la Charité, messieurs.