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LES ENFANS D’ÉDOUARD.

ont été faussées, quand les casques étincelans ont roulé dans le sang et la poussière, quand le vainqueur est proclamé. Mais, pour qu’il ne manque rien à la louange de ceux qui ont vaincu, il faut réciter, sans découragement et sans dégoût, les noms obscurs de ceux qui n’ont pas même combattu, comme pour agrandir le cortége du guerrier prédestiné.

M. Casimir Delavigne pourrait impunément écrire et montrer sur la scène française plusieurs centaines de tragédies pareilles aux Enfans d’Édouard, sans hâter ou ralentir les progrès de l’art dramatique. Si donc nous parlons de lui cette fois, ce n’est pas pour lui-même, ni pour discuter ce qui n’est pas discutable, le sens et le dessein de son poème prétendu ; c’est qu’il nous importe absolument de prouver qu’il ne compte pas dans la littérature de son temps ; qu’il n’est ni de ce siècle-ci, ni du siècle passé, ni du siècle précédent ; qu’il ne relève ni du tragique austère qui faisait pleurer Condé, ni du studieux élève de Port-Royal qui devait mourir d’une bouderie de roi, après avoir dévoué sa muse aux fêtes religieuses de Saint-Cyr, et qu’il n’a rien à démêler non plus avec le hardi dialecticien qui, du fond de Ferney, gouvernait l’Europe attentive, et rédigeait Mahomet, comme un pamphlet, pour le dédier au pape.

Au moins ces trois grands noms dominaient la société française parce qu’ils la comprenaient. S’ils ont pris tour à tour pour modèle la Grèce, l’Espagne ou l’Angleterre, c’est qu’ils y avaient découvert d’intimes alliances avec les idées, les passions et les habitudes de leur temps. Mais je défie le plus habile de surprendre une parenté, si lointaine qu’elle soit, entre M. Delavigne et les choses ou les hommes de ce temps-ci.

Les Enfans d’Édouard m’ont semblé une gageure sérieuse, un parti pris d’emprunter à toutes les querelles, à tous les systèmes qui se coudoient dans les salons et dans les académies, ce qu’ils ont d’inoffensif et de superficiel, et ainsi, par exemple, aux versificateurs patiens de l’empire, l’élégance monotone, les hémistiches arrangés en cascatelles sonores ; aux adeptes du moyen âge, aux panégyristes de la scène anglaise et allemande, le nom et le costume de quelques personnages historiques ; et enfin aux amira-