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FRAGMENS DE VOYAGE.

jour-là, un habit bleu neuf, et que, dans les brusques mouvemens de sa sympathie pour son héros, il arracha un bouton, ce qui nous valut cette fameuse note qui nous amusa tant dans les mémoires : « écrit Manfred, arraché un bouton à mon habit. »

J’ai réparé cette négligence. Dans ma première course à Pise, ne me souvenant plus du palais Lanfranchi, je demandai la demeure de Byron, du seigneur anglais : les Pisans avaient oublié le nom du poète. Cette fois, mieux informé, on m’a conduit devant le palais Lanfranchi. L’intérieur était envahi par les maçons ; les escaliers, les plafonds, étaient démolis ; le grand et froid appartement n’existe plus ; la façade du palais, d’un beau marbre doré et dans le pur style toscan, s’élève toujours sur le quai de l’Arno. —

Le couvent des Arméniens, à Venise, occupe à lui seul la jolie petite île de Saint-Lazare. Du côté de la ville sont les bâtimens ; vers la mer, les jardins, les potagers, toutes les dépendances de la communauté. Les frères y vivent au nombre de cinquante, en comptant les pensionnaires. Leur règle est celle de saint Benoît. Ils ont une bibliothèque fort riche en manuscrits orientaux dont ils impriment eux-mêmes des éditions très estimées. C’est chez eux que Byron alla étudier l’arménien, durant le long séjour qu’il fit à Venise.

Mon gondolier ramait depuis une demi-heure ; j’approchais de l’île ; je sentais l’odeur douce des pois à fleur que le vent m’apportait par-dessus les murailles du jardin ; mais aucun bruit, aucune voix, ne venait de la maison ; toutes les fenêtres et les portes étaient soigneusement fermées ; habitué déjà au silence de Venise, malgré moi j’éprouvai un nouveau sentiment de calme et de recueillement sur le seuil de cette demeure plus silencieuse et plus immobile encore.

Le moine qui m’ouvrit, jeune homme de vingt-cinq ou vingt-six ans, avait dans les traits toute la finesse et la beauté régulière des Orientaux ; une longue barbe noire et lustrée tombait sur sa robe d’étamine. Son salut, sa marche, ses manières, me rappelaient assez bien quelques Persans que vous avez pu voir à Paris. Nous visitâmes les diverses parties du couvent, moi, le ménageant de questions, lui, au contraire, venant au-devant avec une politesse toute lettrée, et une douceur vraiment chrétienne. Il me parlait des trois