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LETTRES SUR L’INDE.

leur décadence, aucun ne fut assez puissant pour en détruire le principe ; et, chose très remarquable, ils ne firent un peu de bien qu’en désobéissant aux ordres qu’ils recevaient de France. Je sais bien que quatre ou cinq petits villages, qu’on décore du nom de comptoirs, ne sont pas d’une grande importance pour un pays aussi riche, aussi puissant, enfin aussi agité que la France d’aujourd’hui ; mais encore, puisqu’on croit devoir les conserver, ne devrait-on pas se croire obligé de les entretenir, de n’en pas tirer tout le revenu aux dépens des colons ? Et n’est-ce pas une duperie indigne que d’envoyer ici, avant de leur dire ce qu’il en est, de pauvres diables, qui meurent de misère et de regrets, en maudissant leur gouvernement, quand ils ne sont pas venus pour le tromper, ou se soustraire, en changeant de pays, au poids d’une mauvaise réputation ? J’ai connu, au moins indirectement, le plus grand nombre des Français nouvellement envoyés dans l’Inde, et je t’assure qu’à l’exception de deux ou trois, ils sont tous de l’une ou l’autre espèce. Quant aux anciens habitans, qui sont ou des indigotiers ruinés ou de vieux militaires, ils vivaient depuis la révolution par la générosité de la compagnie anglaise, qui les employait au commerce du sel et de l’opium ; mais le traité de 1814, en vendant ce monopole aux Anglais, et en nous rendant nos comptoirs, prive ces malheureux de cette dernière ressource, et s’ils ne meurent pas tous de faim avec les employés de la marine, c’est qu’un peu de riz et d’eau suffit pour soutenir leur chétive existence ......

Croirais-tu, ma belle, que l’administration de Chandernagor, où l’on ne fait pas pour six sous de commerce, est beaucoup plus compliquée que celle de la compagnie qui régit soixante millions d’hommes ? Croirais-tu qu’il faut plus de paperasses pour solder dix-huit soldats indiens, que nous avons à notre service, que pour payer deux régimens anglais, et qu’il ne faut pas moins que l’inspection de quatre bureaux pour constater l’usure d’un balai ou la cassure d’une cruche ? Notre dernier intendant général des établissemens français au Bengale, homme d’esprit et de cœur, qui sentait tout le ridicule de son titre et l’humiliation de sa place, notre dernier intendant, dis-je, m’assurait, peu de jours avant sa mort, qu’à l’arrivée d’une frégate française à Pondichéry, en 1819, il avait fallu