moment leurs inimitiés, pour suivre avec ardeur leurs patrons sur le champ de bataille. Cependant les deux intérêts sont trop puissans pour ne pas se combattre ; la grande guerre du forum se continue, et le peuple met autant de courage et de persévérance à conquérir l’égalité qu’à subjuguer l’Italie. Il y parvint alors, parce qu’il en était digne. Remarquez que cette époque des mœurs simples et pures fut celle des grandes conquêtes législatives que remportent les plébéiens. Au quatrième siècle, la loi Canuleia[1] autorise le connubium avec les patriciens. La loi Licinia[2] permet de choisir un consul parmi les plébéiens. C’est pendant le cinquième siècle, surtout pendant les longues guerres contre les Samnites, au milieu des plus grands efforts du courage et de la vertu, que les plébéiens obtiennent leur complète émancipation, et commencent même, par leur prépondérance excessive, à troubler l’équilibre de la république. Dès l’année 412, une loi avait étendu aux deux consuls le droit que la loi Licinia avait accordé pour un seul, et dès 424, d’autres lois obligent à choisir parmi les plébéiens l’un des censeurs, et déclarent les plébiscites obligatoires pour tous les citoyens[3]. Enfin, en 454, la loi Ogulnia comble la mesure, en accordant aux plébéiens quatre places de pontifes et cinq d’augures. Cette loi fut la consommation des changemens introduits par les mœurs dans les lois. Deux cents ans plus tôt, l’idée du sacerdoce confié à des mains plébéiennes eût paru monstrueuse. Mais les temps avaient marché, et le vieux patriciat fut contraint de se résigner à cet envahissement de ses plus augustes prérogatives.
Un autre progrès des mœurs fut l’émancipation de la loi elle-même. Dans l’origine, les patriciens s’en étaient réservé la propriété au moyen de certains rites mystérieux dont ils étaient dépositaires. Eux seuls pouvaient décider si le jour était faste ou néfaste, si les auspices étaient favorables ou contraires, et par là ils disposaient des assemblées et des jugemens. Mais, en l’an 449, le scribe Appius Cœcus trahit et divulgua ces mystères. Cneius Flavius étala dans le forum les secrets de la science patricienne ; il dévoila les fastes. — Les vieilles mœurs sacerdotales furent ébranlées jusque dans leur racine. La publicité du droit fut un triomphe immense des mœurs plébéiennes. Les patriciens le sentirent ; car ils cherchèrent à ressaisir, sous une autre forme, le monopole qui leur échappait. Ils inventèrent des formules compliquées et bizarres, nécessaires pour les actions judiciaires, et dont eux seuls connaissaient l’emploi et l’applica-