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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/698

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REVUE DES DEUX MONDES.

meneurs arrivait par la grande rue de Passy, et par les avenues du bois de Boulogne : les gens du peuple étaient en habits de fête ; les femmes portaient sur leur coiffure des épis de blé en signe d’abondance. Cette foule, où toutes les classes étaient confondues, se pressait devant les grilles du château, et ne s’écoulait qu’à la nuit. Tels furent les commencemens du règne de Louis xvi. Il y avait une espérance universelle de bonheur public, l’attente d’une sorte de régénération pour le royaume, et une confiance sans bornes dans les intentions du jeune roi. Sensible à tant d’affection, le monarque avait à cœur de réaliser l’espoir que la nation plaçait en lui. L’énormité des abus et le besoin d’une grande réforme le frappaient ; mais, se défiant de son inexpérience, et indécis par caractère, il hésitait. Il demandait conseil aux hommes d’état en crédit ou disgraciés sous le dernier règne, et n’obtenait d’eux que cette réponse : « Sire, il y a plus de treize cents ans que le royaume de France existe ; il a fait ses preuves pour la durée. Qu’il y ait çà et là quelques petites dégradations, cela ne doit ni surprendre ni effrayer : l’édifice est vieux, mais solide. » Le roi n’en était que plus irrésolu ; enfin il se décida, et, au grand scandale de la cour, il choisit deux de ses ministres, MM. Turgot et de Malesherbes, dans le parti des philosophes.

Turgot, l’un des chefs les plus distingués de ce parti, joignait à de vastes connaissances la roideur d’esprit d’un sectaire. Ses projets de réforme immédiate allaient au-delà de ce que la révolution et ses suites ont produit de bien jusqu’à ce jour ; il voulait tout faire d’un coup, et disait avec un calme imperturbable : « Le temps me presse ; je suis d’une famille où l’on ne passe pas cinquante ans. Turgot échoua non-seulement contre l’égoïsme des courtisans, mais aussi contre les habitudes et les préjugés du peuple. En abolissant les jurandes et les maîtrises, il encourut la haine des corporations d’arts et de métiers ; en décrétant la liberté absolue du commerce des grains, il excita une inquiétude générale, suivie presqu’aussitôt d’une disette réelle ou factice. Il y eut dans plusieurs provinces des émeutes pour le pain, et à Paris les magasins de blé et les boutiques des boulangers furent pillés. Le ministre impassible ne retira point ses édits, et déploya un luxe de précautions militaires, qui fit donner à cette révolte le nom de guerre des