Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
REVUE DES DEUX MONDES.

succès unanime de ses portraits comme une amnistie pour les imperfections que nous y avons découvertes. Il est le premier, je ne le nie pas. Mais ne peut-il pas mieux faire, et ne l’a-t-il pas prouvé ?

L’examen successif de ses ouvrages de cette année répondra pour nous. Il en est deux surtout qui ont fixé l’attention, M. le baron Portal et madame la vicomtesse d’H. — Je ne partage pas absolument les prédilections du public. Mais il y a dans ces deux toiles tous les élémens d’une discussion nourrie.

J’ai retrouvé dans la tête du baron Portal les qualités précieuses que j’avais distinguées en 1831 dans celle de M. Desfontaines. Le caractère sénile des joues et du regard présentait de grandes difficultés ; il y avait un double écueil à éviter : ou bien en soutenant les plans, le pinceau pouvait rajeunir le visage, ou bien en les multipliant, il tombait dans le détail et appauvrissait la nature. M. Champmartin a vu ce qu’il fallait faire, et il l’a fait. La ligne du torse courbé par l’âge et luttant pour se redresser est bonne et vraie. Les jambes titubantes, amaigries, et distantes sont bien saisies et bien rendues. Peut-être le vêtement manque-t-il de relief. Le fauteuil et le meuble sont traités avec une adresse merveilleuse. Le défaut le plus grave de cette composition consiste dans l’absence de profondeur. L’Œuvre de Joshua fournit de bons modèles, et c’est là surtout qu’on peut apprendre l’art si difficile d’agrandir le fond d’une toile sans diminuer l’importance de la figure. Je crois que M. Champmartin doit comprendre lui-même ce qui manque au cabinet du baron Portal, et qu’il regrette, comme moi, la précision qui ajouterait au charme de son portrait, et le rendrait plus durable.

Le portrait de madame la vicomtesse d’H… réunit bien des conditions de succès. Il est plein de grâce et de coquetterie, de finesse et d’élévation. Les lignes du visage, la coiffure, l’étoffe des manches et du corsage, la pose des mains et le regard voilé, composent un type choisi, qui séduit les curieux et provoque d’abord l’indulgence de la critique. Mais après ce premier éblouissement la sévérité reprend ses droits, réduit à leur juste valeur toutes les qualités qui menaçaient de lui imposer silence ; elle oublie son plaisir pour n’écouter plus que la raison, et alors il arrive que le regard semble noyé dans une vapeur indéfinissable. Je sais bien que cet