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En sortant du jardin, notre concierge nous conduisit chez lui : il voulait nous montrer la canne de Voltaire, qu’il conservait religieusement depuis la mort du grand homme, et qu’il finit par nous offrir pour un louis, les besoins du temps le forçant de se séparer de cette relique précieuse ; je lui répondis que c’était trop cher, et que j’avais connu un souscripteur de l’édition Touquet, auquel, il y avait huit ans, il avait cédé la pareille pour 20 francs.

Nous remontâmes en voiture, nous repartîmes pour Coppet, et nous arrivâmes au château de madame de Staël.

Là, point de concierge bavard, point d’église à Dieu, point d’arbre dont on emporte l’écorce ; mais un beau parc où tout le village peut se promener en liberté, et une pauvre femme qui pleure de vraies larmes en parlant de sa maîtresse, et en montrant les chambres qu’elle habitait, et où rien ne reste d’elle. Nous demandâmes à voir le bureau qui devait être encore taché de l’encre de sa plume, le lit qui devait être encore tiède de son dernier soupir : rien de tout cela n’a été sacré pour la famille ; la chambre a été convertie en je ne sais quel salon ; les meubles ont été emportés je ne sais où. Il n’y avait peut être pas même dans tout le château un exemplaire de Delphine.

De cet appartement, nous passâmes dans celui de M. de Staël fils : là aussi la mort était entrée et avait trouvé à frapper de ses deux mains ; deux lits étaient vides, un lit d’homme et un berceau d’enfant. C’est là que M. de Staël et son fils étaient morts à trois semaines d’intervalle l’un de l’autre.

Nous demandâmes à voir le tombeau de la famille ; mais une disposition testamentaire de M. de Necker en a interdit l’entrée à la curiosité des voyageurs.

Nous étions sortis de Ferney avec une provision de gaîté qui nous paraissait devoir durer huit jours : nous sortîmes de Coppet les larmes aux yeux et le cœur serré.

Nous n’avions pas de temps à perdre pour prendre le bateau à vapeur, qui devait nous conduire à Lausanne ; nous le voyions arriver sur nous, rapide, fumant et couvert d’écume, comme un cheval de course ; au moment où nous croyions qu’il allait passer sans nous voir, il s’arrêta tout-à-coup tremblant de la secousse, puis,