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les cavaliers jetaient bas leurs manteaux de route, découvraient les harnais de leurs chevaux, et s’armaient de leurs boucliers, suspendus à l’arçon de la selle. La fiancée du roi de Neustrie quittait son lourd chariot de voyage pour un char de parade, élevé en forme de tour, et tout couvert de plaques d’argent. Le poète contemporain à qui sont empruntés ces détails, la vit entrer ainsi à Poitiers, où elle se reposa quelques jours : il dit qu’on admirait la pompe de son équipage ; mais il ne parle point de sa beauté.[1]

Cependant Hilperik, fidèle à sa promesse, avait répudié ses femmes et congédié ses maîtresses. Fredegonde elle-même, la plus belle de toutes, la favorite entre celles qu’il avait décorées du nom de reines, ne put échapper à cette proscription générale ; elle s’y soumit avec une résignation apparente, avec une bonne grâce qui aurait trompé un homme beaucoup plus fin que le roi Hilperik. Il semblait qu’elle reconnût sincèrement que ce divorce était nécessaire, que le mariage d’une femme comme elle avec un roi ne pouvait être sérieux, et que son devoir était de céder la place à une reine vraiment digne de ce titre. Seulement, elle demanda, pour dernière faveur, de ne pas être éloignée du palais, et de rentrer, comme autrefois, parmi les femmes qu’employait le service royal. Sous ce masque d’humilité, il y avait une profondeur d’astuce et d’ambition féminine, contre laquelle le roi de Neustrie ne se tint nullement en garde. Depuis le jour où il s’était épris de l’idée d’épouser une fille de race royale, il croyait ne plus aimer Fredegonde, et ne remarquait plus sa beauté ; car l’esprit du fils de Chlother, comme en général l’esprit des barbares, était peu capable de recevoir à la fois des impressions de nature diverse. Ce fut donc sans arrière pensée, non par faiblesse de cœur, mais par simple défaut de jugement, qu’il permit à son ancienne favorite de rester près de lui, dans la maison que devait habiter sa nouvelle épouse.

  1. Post aliquas urbes, pictavas attigit arces,
    Regali pompâ, prætereundo viam.
    Hanc ego nempè novus conspexi prætereuntem
    Molliter argenti turre rotante vehi.

    (Venantii Fortunati carmin., lib. vi, pag. 562.)