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INTRODUCTION À LA SCIENCE DE L’HISTOIRE.

Il y a donc une philosophie française pour le fond des choses et les résultats obtenus ; il y a en Europe une philosophie sociale, politique, qui surtout a été cultivée en France, et que, par cette raison, il est juste d’appeler française ; c’est la philosophie instaurée par Descartes, continuée par Fénelon, Pascal, Bossuet, Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, Boulanger, Turgot, Saint-Simon, Condorcet, Benjamin Constant ; c’est la philosophie des peuples, la science sociale, qu’il n’est pas permis d’abandonner pour se jeter dans quelque sentier détourné, ainsi que l’a voulu faire la philosophie de la restauration, paupertina philosophia, cet éclectisme qui expire aujourd’hui sous le mépris des jeunes générations.

Il y a donc une philosophie française, une philosophie nationale qu’il faut poursuivre et agrandir ; avec la faculté et le génie qui appartiennent à la France, il faut cultiver le champ de la sociabilité humaine. Nous avions donc raison d’appeler de nos vœux une philosophie nouvelle et nationale, qui parte du sein de la société française et qui, à la fois métaphysique, sociale et pratique, nous conduise vers l’avenir. Nous persistons dans cette route, et c’est avec une ineffable joie que, de jour en jour, nous y rencontrons un plus grand nombre de jeunes hommes de cœur et de talent.

Le livre de M. Buchez nous a causé une sérieuse et profonde émotion, que nous voudrions, par degré, communiquer à nos lecteurs. Il faut d’abord apprécier la situation de l’écrivain. Au milieu du dix-huitième siècle, deux directions parallèles, dans la science de la sociabilité, se développèrent en Allemagne et en France ; l’Allemagne eut Kant, Fichte, Herder ; la France eut Rousseau, Boulanger, Turgot et Condorcet. Le but des penseurs des deux pays fut le même, mais leur situation était différente et leur méthode contraire. Aujourd’hui, l’Allemagne et la France ont profité l’une de l’autre ; elles en profiteront encore, et d’autant mieux que chacune gardera plus l’indépendance de son propre caractère ; aussi n’avons-nous jamais hésité à considérer attentivement l’érudition et la philosophie d’outre-Rhin, car nous étions certains de ne jamais laisser abolir dans notre âme la conscience de la patrie. L’auteur du livre que nous examinons est resté complètement étranger aux travaux de l’Allemagne ; il appartient exclusivement à l’école de Turgot, de Boulanger, de Condorcet et de Saint-