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INTRODUCTION À LA SCIENCE DE L’HISTOIRE.

être remplacées par d’autres générations de sociétés, comme nous serons, nous autres, remplacés par d’autres générations d’hommes. L’antiquité ne dépassa pas cette conception. Son histoire fut trop courte pour que l’idée de progrès eût l’occasion d’y naître, bien que le sentiment y existât ; même dans la société chrétienne, cette idée ne se trouva pas. Cependant le nouveau Testament renfermait plusieurs passages qui indiquaient que la révélation n’était pas complète ; mais on ne fit pas attention à ces passages par lesquels le révélateur voulait lier le livre du progrès chrétien aux livres du progrès futur. Au seizième siècle, les premiers germes de cette idée furent jetés dans le monde philosophique : c’est l’époque où vint éclore l’œuvre du moyen âge. Machiavel, dont les travaux ferment le quinzième siècle et ouvrent le seizième, ne connaît encore qu’un cercle fatal que toutes les sociétés doivent parcourir. Bacon vint ensuite, qui traça dans le De augmentis scientiarum le plan d’une histoire littéraire des idées et des travaux de l’humanité, et l’histoire devenait, sous sa plume, un enseignement pour l’avenir. Il est vrai que l’idée de progrès n’était pas expressément déposée dans la théorie de Bacon, mais elle était préparée par elle. Vico, avec son plan circulaire, est un disciple du chancelier d’Angleterre. Au dix-huitième siècle, en France, Boulanger, Turgot, Condorcet, développèrent l’idée d’un progrès social continu. Saint-Simon fut l’héritier et le représentant de cette école, au commencement du dix-neuvième siècle. Cette exposition historique a été faite par M. Buchez avec une probité ferme, et lui prête une force immense au moment d’arriver à l’énonciation de ses propres idées.

Pour s’élever à la conception de la liaison des faits et de l’harmonie universelle dont notre monde, l’humanité, les nations ne sont que des parties, l’écrivain philosophe dont nous nous occupons, a deux points de vue, celui des hommes et celui de l’univers. Toutes les parties de l’humanité tiennent les unes aux autres, et pas un mouvement ne peut s’opérer dans une d’elles, sans que la masse entière ne soit ébranlée, pas un son s’élever, qu’il ne se propage. Le concours de plusieurs nations vers un même but hâte le progrès. Une nation isolée, réduite à ses propres forces, se traînerait sur la voie du perfectionnement et avec plus de peine. Examinez la position de l’humanité vis-à-vis l’ensemble phénoménal dans lequel