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ROLLA.

Pour engraisser la terre autour de ses tombeaux,
Chercher ses diamans, et nourrir ses corbeaux.

Mais quand elle pétrit ses nobles créatures,
Elle qui voit là-haut comme on vit ici-bas,
Elle sait des secrets qui les font assez pures,
Pour que le monde entier ne les lui souille pas.
Le moule en est d’airain, si l’espèce en est rare ;
Elle peut les plonger dans ses plus noirs marais ;
Elle sait ce que vaut son marbre de Carrare,
Et que les eaux du ciel ne l’entament jamais.

Il peut s’assimiler au débauché vulgaire,
Celui que le ciseau de la commune mère
A taillé dans les flancs de ses plus purs granits.
Il peut pendant trois ans étouffer sa pensée.
Dans la nuit de son cœur la vipère glacée
Déroule tôt ou tard ses anneaux infinis.

Nègres de Saint-Domingue, après combien d’années
De farouche silence et de stupidité,
Vos peuplades sans nombre, au soleil enchaînées,
Se sont-elles de terre enfin déracinées,
Au souffle de la haine et de la liberté ?
C’est ainsi qu’aujourd’hui s’éveillent tes pensées,
Ô Rolla ! c’est ainsi que bondissent tes fers,
Et que devant tes yeux des torches insensées
Courent à l’infini, traversant des déserts.

Écrase maintenant les débris de ta vie ;
Écorche tes pieds nus sur tes flacons brisés ;
Et, dans le dernier toast de ta dernière orgie,
Étouffe le néant dans tes bras épuisés.
Le néant ! le néant ! vois-tu son ombre immense
Qui ronge le soleil sur son axe enflammé ?
L’ombre gagne ! il s’éteint, — l’éternité commence.
Tu n’aimeras jamais, toi qui n’as point aimé.